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LA PEAU DE CHAGRIN

bizarres sont encore religieusement accrédités chez les Persans et les Nogaïs comme un remède souverain contre les maux de reins et la goutte sciatique. Nous ne nous doutons guère de cela, nous autres pauvres Parisiens. Le Muséum ne possède pas d’onagre. Quel superbe animal ! reprit le savant. Il est plein de mystères : son œil est muni d’une espèce de tapis réflecteur auquel les Orientaux attribuent le pouvoir de la fascination, sa robe est plus élégante et plus polie que ne l’est celle de nos plus beaux chevaux ; elle est sillonnée de bandes plus ou moins fauves, et ressemble beaucoup à la peau du zèbre. Son lainage a quelque chose de moelleux, d’ondoyant, de gras au toucher ; sa vue égale en justesse et en précision la vue de l’homme ; un peu plus grand que nos plus beaux ânes domestiques, il est doué d’un courage extraordinaire. Si, par hasard, il est surpris, il se défend avec une supériorité remarquable contre les bêtes les plus féroces ; quant à la rapidité de sa marche, elle ne peut se comparer qu’au vol des oiseaux ; un onagre, monsieur, tuerait à la course les meilleurs chevaux arabes ou persans. D’après le père du consciencieux docteur Niébuhr, dont, comme vous le savez sans doute, nous déplorons la perte récente, le terme moyen du pas ordinaire de ces admirables créatures est de sept mille pas géométriques par heure. Nos ânes dégénérés ne sauraient donner une idée de cet âne indépendant et fier. Il a le port leste, animé, l’air spirituel, fin, une physionomie gracieuse, des mouvements pleins de coquetterie ! C’est le roi zoologique de l’Orient. Les superstitions turques et persanes lui donnent même une mystérieuse origine, et le nom de Salomon se mêle aux récits que les conteurs du Thibet et de la Tartarie font sur les prouesses attribuées à ces nobles animaux.

Enfin un onagre apprivoisé vaut des sommes immenses ; il est presque impossible de le saisir dans les montagnes, où il bondit comme un chevreuil, et semble voler comme un oiseau. La fable des chevaux ailés, notre Pégase, a sans doute pris naissance dans ces pays, où les bergers ont pu voir souvent un onagre sautant d’un rocher à un autre. Les ânes de selle, obtenus en Perse par l’accouplement d’une ânesse avec un onagre apprivoisé, sont peints en rouge, suivant une immémoriale tradition. Cet usage a donné lieu peut-être à notre proverbe : Méchant comme un âne rouge. À une époque où l’histoire naturelle était très-négligée en France,