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ÉTUDES PHILOSOPHIQUES.

coquettement irisé. Mais, monsieur, le canard siffleur était huppé, vous comprenez alors que je n’ai plus balancé. Il ne nous manque ici que le canard varié à calotte noire. Ces messieurs prétendent unanimement que ce canard fait double emploi avec le canard sarcelle à bec recourbé, quant à moi… Il fit un geste admirable qui peignit à la fois la modestie et l’orgueil des savants, orgueil plein d’entêtement, modestie pleine de suffisance. Je ne le pense pas, ajouta-t-il. Vous voyez, mon cher monsieur, que nous ne nous amusons pas ici. Je m’occupe en ce moment de la monographie du genre canard. Mais je suis à vos ordres.

En se dirigeant vers une assez jolie maison de la rue de Buffon, Raphaël soumit la Peau de chagrin aux investigations de monsieur Lavrille.

— Je connais ce produit, répondit le savant après avoir braqué sa loupe sur le talisman ; il a servi à quelque dessus de boîte. Le chagrin est fort ancien ! Aujourd’hui les gaîniers préfèrent se servir de galuchat. Le galuchat est comme vous le savez sans doute, la dépouille du raja sephen, un poisson de la mer Rouge…

— Mais ceci, monsieur, puisque vous avez l’extrême bonté…

— Ceci, reprit le savant en interrompant, est autre chose : entre le galuchat et le chagrin, il y a, monsieur, toute la différence de l’océan à la terre, du poisson à un quadrupède. Cependant la peau du poisson est plus dure que la peau de l’animal terrestre. Ceci, dit-il en montrant le talisman, est, comme vous le savez sans doute, un des produits les plus curieux de la zoologie.

— Voyons ! s’écria Raphaël.

— Monsieur, répondit le savant en s’enfonçant dans son fauteuil, ceci est une peau d’âne.

— Je le sais, dit le jeune homme.

— Il existe en Perse, reprit le naturaliste, un âne extrêmement rare, l’onagre des anciens, equus asinus, le koulan des Tatars. Pallas a été l’observer, et l’a rendu à la science. En effet, cet animal avait long-temps passé pour fantastique. Il est, comme vous le savez, célèbre dans l’Écriture sainte ; Moïse avait défendu de l’accoupler avec ses congénères. Mais l’onagre est encore plus fameux par les prostitutions dont il a été l’objet, et dont parlent souvent les prophètes bibliques. Pallas, comme vous le savez sans doute, déclare, dans ses Act. Petrop., tome II, que ces excès