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LA PEAU DE CHAGRIN

fortune. Ses souhaits sont accomplis au moment même où il les forme. À moins de passer pour un laquais, pour un homme sans cœur, il va nous enrichir tous.

— Ah ! mon petit Raphaël, je veux une parure de perles, s’écria Euphrasie.

— S’il est reconnaissant, il me donnera deux voitures attelées de beaux chevaux et qui aillent vite ! dit Aquilina.

— Souhaitez-moi cent mille livres de rente.

— Des cachemires !

— Payez mes dettes !

— Envoie une apoplexie à mon oncle, le grand sec !

— Raphaël, je te tiens quitte à dix mille livres de rente.

— Que de donations ! s’écria le notaire.

— Il devrait bien me guérir de la goutte.

— Faites baisser les rentes, s’écria le banquier.

Toutes ces phrases partirent comme les gerbes du bouquet qui termine un feu d’artifice, et ces furieux désirs étaient peut-être plus sérieux que plaisants.

— Mon cher ami, dit Émile d’un air grave, je me contenterai de deux cent mille livres de rente ; exécute-toi de bonne grâce, allons !

— Émile, dit Raphaël, tu ne sais donc pas à quel prix ?

— Belle excuse ! s’écria le poète. Ne devons-nous pas nous sacrifier pour nos amis ?

— J’ai presque envie de souhaiter votre mort à tous, répondit Valentin en jetant un regard sombre et profond sur les convives.

— Les mourants sont furieusement cruels, dit Émile en riant. Te voilà riche, ajouta-t-il sérieusement, eh bien ! je ne te donne pas deux mois pour devenir fangeusement égoïste. Tu es déjà stupide, tu ne comprends pas une plaisanterie. Il ne te manque plus que de croire à ta Peau de chagrin.

Raphaël craignit les moqueries de cette assemblée, garda le silence, but outre mesure et s’enivra pour oublier un moment sa funeste puissance.

L’AGONIE.

Dans les premiers jours du mois de décembre, un vieillard septuagénaire allait, malgré la pluie, par la rue de Varennes en levant le nez à la porte de chaque hôtel, et cherchant l’adresse de mon-