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ÉTUDES PHILOSOPHIQUES.

tous ces petits supplices inconnus, immenses chez un homme irritable. Les malheureux ont des dévouements dont il ne leur est point permis de parler aux femmes qui vivent dans une sphère de luxe et d’élégance, elles voient le monde à travers un prisme qui teint en or les hommes et les choses. Optimistes par égoïsme, cruelles par bon ton, ces femmes s’exemptent de réfléchir au nom de leurs jouissances, et s’absolvent de leur indifférence au malheur par l’entraînement du plaisir. Pour elles un denier n’est jamais un million, c’est le million qui leur semble être un denier. Si l’amour doit plaider sa cause par de grands sacrifices, il doit aussi les couvrir délicatement d’un voile, les ensevelir dans le silence ; mais, en prodiguant leur fortune et leur vie, en se dévouant, les hommes riches profitent des préjugés mondains qui donnent toujours un certain éclat à leurs amoureuses folies. Pour eux le silence parle et le voile est une grâce, tandis que mon affreuse détresse me condamnait à d’épouvantables souffrances sans qu’il me fût permis de dire : J’aime ! ou : Je meurs ! Était-ce du dévouement après tout ? N’étais-je pas richement récompensé par le plaisir que j’éprouvais à tout immoler pour elle ? La comtesse avait donné d’extrêmes valeurs, attaché d’excessives jouissances aux accidents les plus vulgaires de ma vie. Naguère insouciant en fait de toilette, je respectais maintenant mon habit comme un autre moi-même. Entre une blessure à recevoir et la déchirure de mon frac, je n’aurais pas hésité ! Tu dois alors épouser ma situation et comprendre les rages de pensées, la frénésie croissante qui m’agitaient en marchant, et que peut-être la marche animait encore ! J’éprouvais je ne sais quelle joie infernale à me trouver au faîte du malheur. Je voulais voir un présage de fortune dans cette dernière crise ; mais le mal a des trésors sans fond. La porte de mon hôtel était entr’ouverte. À travers les découpures en forme de cœur pratiquées dans le volet, j’aperçus une lumière projetée dans la rue. Pauline et sa mère causaient en m’attendant. J’entendis prononcer mon nom, j’écoutai. — Raphaël, disait Pauline, est bien mieux que l’étudiant du numéro sept ! Ses cheveux blonds sont d’une si jolie couleur ! Ne trouves-tu pas quelque chose dans sa voix, je ne sais, mais quelque chose qui vous remue le cœur ? Et puis, quoiqu’il ait l’air un peu fier, il est si bon, il a des manières si distinguées ! Oh ! il est vraiment très-bien ! Je suis sûre que toutes les femmes doivent être folles de lui. — Tu en parles comme si tu