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prit-elle, cette dame-là te parlait de la jeune demoiselle que je sers n’est-ce pas ?

Marche-à-terre resta muet et sa figure lutta comme l’aurore entre les ténèbres et la lumière. Il regarda tour à tour Francine, le gros fouet qu’il avait laissé tomber et la chaîne d’or qui paraissait exercer sur lui des séductions aussi puissantes que le visage de la Bretonne ; puis, comme pour mettre un terme à son inquiétude, il ramassa son fouet et garda le silence.

— Oh ! il n’est pas difficile de deviner que cette dame t’a ordonné de tuer ma maîtresse, reprit Francine qui connaissait la discrète fidélité du gars et qui voulut en dissiper les scrupules.

Marche-à-terre baissa la tête d’une manière significative; et pour la garce à Cottin, ce fut une réponse.

— Eh ! bien, Pierre, s’il lui arrive le moindre malheur, si un seul cheveu de sa tête est arraché, nous nous serons vus ici pour la dernière fois et pour l’éternité, car je serai dans le paradis, moi ! et toi, tu iras en enfer.

Le possédé que l’Église allait jadis exorciser en grande pompe n’était pas plus agité que Marche-à-terre ne le fut sous cette prédiction prononcée avec une croyance qui lui donnait une sorte de certitude. Ses regards, d’abord empreints d’une tendresse sauvage, puis combattus par les devoirs d’un fanatisme aussi exigeant que celui de l’amour, devinrent tout à coup farouches quand il aperçut l’air impérieux de l’innocente maîtresse qu’il s’était jadis donnée. Francine interpréta le silence du Chouan à sa manière.

— Tu ne veux donc rien faire pour moi ? lui dit-elle d’un ton de reproche.

À ces mots, le Chouan jeta sur sa maîtresse un coup d’œil aussi noir que l’aile d’un corbeau.

— Es-tu libre ? demanda-t-il par un grognement que Francine seule pouvait entendre.

— Serais-je là ?… répondit-elle avec indignation. Mais toi, que fais-tu ici ? Tu chouannes encore, tu cours par les chemins comme une bête enragée qui cherche à mordre. Oh ! Pierre, si tu étais sage, tu viendrais avec moi. Cette belle demoiselle qui, je puis te le dire, a été jadis nourrie chez nous, a eu soin de moi. J’ai maintenant deux cents livres de bonnes rentes. Enfin mademoiselle m’a