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— Mon Dieu ! s’écria le curé dans un accès de patriotisme sacré, comment se fait-il que des esprits aussi éclairés que ceux-ci, dit-il en montrant Clousier, Roubaud et Gérard, voient le mal, en indiquent le remède, et ne commencent pas par se l’appliquer à eux-mêmes ? Vous tous, qui représentez les classes attaquées, vous reconnaissez la nécessité de l’obéissance passive des masses dans l’État, comme à la guerre chez les soldats ; vous voulez l’unité du pouvoir, et vous désirez qu’il ne soit jamais mis en question. Ce que l’Angleterre a obtenu par le développement de l’orgueil et de l’intérêt humain, qui sont une croyance, ne peut s’obtenir ici que par les sentiments dus au catholicisme, et vous n’êtes pas catholiques ! Moi, prêtre, je quitte mon rôle, je raisonne avec des raisonneurs. Comment voulez-vous que les masses deviennent religieuses et obéissent, si elles voient l’irréligion et l’indiscipline au-dessus d’elles ? Les peuples unis par une foi quelconque auront toujours bon marché des peuples sans croyance. La loi de l’Intérêt général, qui engendre le Patriotisme, est immédiatement détruite par la loi de l’Intérêt particulier, qu’elle autorise, et qui engendre l’Égoïsme. Il n’y a de solide et de durable que ce qui est naturel, et la chose naturelle en politique est la Famille. La Famille doit être le point de départ de toutes les Institutions. Un effet universel démontre une cause universelle ; et ce que vous avez signalé de toutes parts vient du Principe social même, qui est sans force parce qu’il a pris le Libre Arbitre pour base, et que le Libre Arbitre est le père de l’Individualisme. Faire dépendre le bonheur de la sécurité, de l’intelligence, de la capacité de tous, n’est pas aussi sage que de faire dépendre le bonheur de la sécurité, de l’intelligence des institutions et de la capacité d’un seul. On trouve plus facilement la sagesse chez un homme que chez toute une nation. Les peuples ont un cœur et n’ont pas d’yeux, ils sentent et ne voient pas. Les gouvernements doivent voir et ne jamais se déterminer par les sentiments. Il y a donc une évidente contradiction entre les premiers mouvements des masses et l’action du pouvoir qui doit en déterminer la force et l’unité. Rencontrer un grand prince est un effet du hasard, pour parler votre langage ; mais se fier à une assemblée quelconque, fût-elle composée d’honnêtes gens, est une folie. La France est folle en ce moment ! Hélas ! vous en êtes convaincus aussi bien que moi. Si tous les hommes de bonne foi comme vous donnaient l’exemple autour d’eux, si toutes les mains