Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/684

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

masses dévouées ont remporté la victoire sur des classes riches, intelligentes, chez qui le dévouement est antipathique.

— À en juger par ce qui arrive depuis un an, reprit monsieur Clousier, le juge de paix, ce changement est une prime donnée au mal qui nous dévore, à l’individualisme. D’ici à quinze ans, toute question généreuse se traduira par : Qu’est-ce que cela me fait ? le grand cri du Libre-Arbitre descendu des hauteurs religieuses où l’ont introduit Luther, Calvin, Zwingle et Knox jusque dans l’Économie politique. Chacun pour soi, chacun chez soi, ces deux terribles phrases formeront, avec le Qu’est-ce que cela me fait ? la sagesse trinitaire du bourgeois et du petit propriétaire. Cet égoïsme est le résultat des vices de notre législation civile, un peu trop précipitamment faite, et à laquelle la Révolution de Juillet vient de donner une terrible consécration.

Le juge de paix rentra dans son silence habituel après cette sentence, dont les motifs durent occuper les convives. Enhardi par cette parole de Clousier, et par le regard que Gérard et Grossetête échangèrent, monsieur Bonnet osa davantage.

— Le bon roi Charles X, dit-il, vient d’échouer dans la plus prévoyante et la plus salutaire entreprise qu’un monarque ait jamais formée pour le bonheur des peuples qui lui sont confiés, et l’Église doit être fière de la part qu’elle a eue dans ses conseils. Mais le cœur et l’intelligence ont failli aux classes supérieures, comme ils lui avaient déjà failli dans la grande question de la loi sur le droit d’aînesse, l’éternel honneur du seul homme d’État hardi qu’ait eu la Restauration, le comte de Peyronnet. Reconstituer la Nation par la Famille, ôter à la Presse son action venimeuse en ne lui laissant que le droit d’être utile, faire rentrer la Chambre Élective dans ses véritables attributions, rendre à la Religion sa puissance sur le peuple, tels ont été les quatre points cardinaux de la politique intérieure de la maison de Bourbon. Eh ! bien, d’ici à vingt ans, la France entière aura reconnu la nécessité de cette grande et saine politique. Le roi Charles X était d’ailleurs plus menacé dans la situation qu’il a voulu quitter que dans celle où son paternel pouvoir a péri. L’avenir de notre beau pays, où tout sera périodiquement mis en question, où l’on discutera sans cesse au lieu d’agir, où la Presse, devenue souveraine, sera l’instrument des plus basses ambitions, prouvera la sagesse de ce roi qui vient d’emporter avec lui les vrais principes du gouverne-