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jetterai dans une des doctrines nouvelles qui paraissent devoir faire des changements importants à l’ordre social actuel, en dirigeant mieux les travailleurs. Que sommes-nous, sinon des travailleurs sans ouvrage, des outils dans un magasin ? Nous sommes organisés comme s’il s’agissait de remuer le globe, et nous n’avons rien à faire. Je sens en moi quelque chose de grand qui s’amoindrit, qui va périr, et je vous le dis avec une franchise mathématique. Avant de changer de condition, je voudrais avoir votre avis, je me regarde comme votre enfant et ne ferai jamais de démarches importantes sans vous les soumettre, car votre expérience égale votre bonté. Je sais bien que l’État, après avoir obtenu ses hommes spéciaux, ne peut pas inventer exprès pour eux des monuments à élever, il n’a pas trois cents ponts à construire par année ; et il ne peut pas plus faire bâtir des monuments à ses ingénieurs qu’il ne déclare de guerre pour donner lieu de gagner des batailles et de faire surgir de grands capitaines ; mais alors, comme jamais l’homme de génie n’a manqué de se présenter quand les circonstances le réclamaient, qu’aussitôt qu’il y a beaucoup d’or à dépenser et de grandes choses à produire, il s’élance de la foule un de ces hommes uniques, et qu’en ce genre surtout un Vauban suffit, rien ne démontre mieux l’inutilité de l’Institution. Enfin, quand on a stimulé par tant de préparations un homme de choix, comment ne pas comprendre qu’il fera mille efforts avant de se laisser annuler. Est-ce de la bonne politique ? N’est-ce pas allumer d’ardentes ambitions ? Leur aurait-on dit à tous ces ardents cerveaux de savoir calculer tout, excepté leur destinée ? Enfin, dans ces six cents jeunes gens, il existe des exceptions, des hommes forts qui résistent à leur démonétisation, et j’en connais ; mais si l’on pouvait raconter leurs luttes avec les hommes et les choses, quand, armés de projets utiles, de conceptions qui doivent engendrer la vie et les richesses chez des provinces inertes, ils rencontrent des obstacles là où pour eux l’État a cru leur faire trouver aide et protection, on regarderait l’homme puissant, l’homme à talent, l’homme dont la nature est un miracle, comme plus malheureux cent fois et plus à plaindre que l’homme dont la nature abâtardie se prête à l’amoindrissement de ses facultés. Aussi aimé-je mieux diriger une entreprise commerciale ou industrielle, vivre de peu de chose en