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qui distingue les femmes de Valognes, de Bayeux et des environs d’Alençon. Le regard de ses yeux bleus n’annonçait pas d’esprit, mais une certaine fermeté mêlée de tendresse. Elle portait une robe d’étoffe commune. Ses cheveux, relevés sous un petit bonnet à la mode cauchoise, et sans aucune prétention, rendaient sa figure charmante de simplicité. Son attitude, sans avoir la noblesse convenue des salons, n’était pas dénuée de cette dignité naturelle à une jeune fille modeste qui pouvait contempler le tableau de sa vie passée sans y trouver un seul sujet de repentir. D’un coup d’œil, Merle sut deviner en elle une de ces fleurs champêtres qui, transportée dans les serres parisiennes où se concentrent tant de rayons flétrissants, n’avait rien perdu de ses couleurs pures ni de sa rustique franchise. L’attitude naïve de la jeune fille et la modestie de son regard apprirent à Merle qu’elle ne voulait pas d’auditeur. En effet, quand il s’éloigna, les deux inconnues commencèrent à voix basse une conversation dont le murmure parvint à peine à son oreille.

— Vous êtes partie si précipitamment, dit la jeune campagnarde, que vous n’avez pas seulement pris le temps de vous habiller. Vous voilà belle ! Si nous allons plus loin qu’Alençon, il faudra nécessairement y faire une autre toilette…

— Oh ! oh ! Francine, s’écria l’inconnue.

— Plaît-il ?

— Voici la troisième tentative que tu fais pour apprendre le terme et la cause de ce voyage.

— Ai-je dit la moindre chose qui puisse me valoir ce reproche ?…

— Oh ! j’ai bien remarqué ton petit manège. De candide et simple que tu étais, tu as pris un peu de ruse à mon école. Tu commences à avoir les interrogations en horreur. Tu as bien raison, mon enfant. De toutes les manières connues d’arracher un secret, c’est, à mon avis, la plus niaise.

— Eh ! bien, reprit Francine, puisqu’on ne peut rien vous cacher, convenez-en, Marie ? votre conduite n’exciterait-elle pas la curiosité d’un saint. Hier matin sans ressources, aujourd’hui les mains pleines d’or, on vous donne à Mortagne la malle-poste pillée dont le conducteur a été tué, vous êtes protégée par les troupes du gouvernement, et suivie par un homme que je regarde comme votre mauvais génie…

— Qui, Corentin ?… demanda la jeune inconnue en accentuant