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pin solitaire d’une hauteur prodigieuse ; enfin, chose plus rare, un de ces arbustes, nains partout ailleurs, mais qui, par des circonstances curieuses, atteignent des développements gigantesques et sont quelquefois aussi vieux que le sol. Elle ne voyait pas sans une sensation inexprimable une nuée roulant sur des roches nues. Elle remarquait les sillons blanchâtres faits par les ruisseaux de neige fondue, et qui, de loin, ressemblent à des cicatrices. Après une gorge sans végétation, elle admirait, dans les flancs exfoliés d’une colline rocheuse, des châtaigniers centenaires, aussi beaux que des sapins des Alpes. La rapidité de sa course lui permettait d’embrasser, presqu’à vol d’oiseau, tantôt de vastes sables mobiles, des fondrières meublées d’arbres épars, des granits renversés, des roches pendantes, des vallons obscurs, des places étendues pleines de bruyères encore fleuries, et d’autres desséchées ; tantôt des solitudes âpres où croissaient des genévriers, des câpriers ; tantôt des prés à herbe courte, des morceaux de terre engraissée par un limon séculaire ; enfin les tristesses, les splendeurs, les choses douces, fortes, les aspects singuliers de la nature montagnarde au centre de la France. Et à force de voir ces tableaux variés de formes, mais animés par la même pensée, la profonde tristesse exprimée par cette nature à la fois sauvage et minée, abandonnée, infertile, la gagna et répondit à ses sentiments cachés. Et lorsque, par une échancrure, elle aperçut les plaines à ses pieds, quand elle eut à gravir quelque aride ravine entre les sables et les pierres de laquelle avaient poussé des arbustes rabougris, et que ce spectacle revint de moments en moments, l’esprit de cette nature austère la frappa, lui suggéra des observations neuves pour elle, et excitées par les significations de ces divers spectacles. Il n’est pas un site de forêt qui n’ait sa signification ; pas une clairière, pas un fourré qui ne présente des analogies avec le labyrinthe des pensées humaines. Quelle personne parmi les gens dont l’esprit est cultivé, ou dont le cœur a reçu des blessures, peut se promener dans une forêt, sans que la forêt lui parle ? Insensiblement, il s’en élève une voix ou consolante ou terrible, mais plus souvent consolante que terrible. Si l’on recherchait bien les causes de la sensation, à la fois grave, simple, douce, mystérieuse qui vous y saisit, peut-être la trouverait-on dans le spectacle sublime et ingénieux de toutes ces créatures obéissant à leurs destinées, et immuablement soumises. Tôt ou tard le sentiment écrasant de la permanence de la nature