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mille louis de rente avec les six mille arpents que vous fertiliserez ainsi. Ce travail rendra quelque jour Montégnac l’une des plus riches communes du Département. La forêt ne vous rapporte rien encore ; mais, tôt ou tard, la Spéculation viendra chercher ces magnifiques bois, trésors amassés par le temps, les seuls dont la production ne peut être ni hâtée ni remplacée par l’homme. L’État créera peut-être un jour lui-même des moyens de transport pour cette forêt dont les arbres seront utiles à sa marine ; mais il attendra que la population de Montégnac décuplée exige sa protection, car l’État est comme la Fortune, il ne donne qu’au riche. Cette terre sera, dans ce temps, l’une des plus belles de la France, elle sera l’orgueil de votre petit-fils, qui trouvera peut-être le château mesquin, relativement aux revenus.

— Voilà, dit Véronique, un avenir pour ma vie.

— Une pareille œuvre peut racheter bien des fautes, dit le curé.

En se voyant compris, il essaya de frapper un dernier coup sur l’intelligence de cette femme : il avait deviné que chez elle, l’intelligence menait au cœur ; tandis que, chez les autres femmes, le cœur est au contraire le chemin de l’intelligence. — Savez-vous, lui dit-il après une pause, dans quelle erreur vous êtes ? Elle le regarda timidement. — Votre repentir n’est encore que le sentiment d’une défaite essuyée, ce qui est horrible, c’est le désespoir de Satan, et tel était peut-être le repentir des hommes avant Jésus-Christ ; mais notre repentir à nous autres catholiques, est l’effroi d’une âme qui se heurte dans la mauvaise voie, et à qui, dans ce choc, Dieu s’est révélé ! Vous ressemblez à l’Oreste païen, devenez saint Paul !

— Votre parole vient de me changer entièrement, s’écria-t-elle. Maintenant, oh ! maintenant, je veux vivre.

— L’esprit a vaincu, se dit le modeste prêtre qui s’en alla joyeux. Il avait jeté une pâture au secret désespoir qui dévorait madame Graslin en donnant à son repentir la forme d’une belle et bonne action. Aussi Véronique écrivit-elle à monsieur Grossetête le lendemain même. Quelques jours après, elle reçut de Limoges, trois chevaux de selle envoyés par ce vieil ami. Monsieur Bonnet avait offert à Véronique, sur sa demande, le fils du maître de poste, un jeune homme enchanté de se mettre au service de madame Graslin, et de gagner une cinquantaine d’écus. Ce jeune garçon, à figure ronde, aux yeux et aux cheveux noirs, petit, découplé, nommé