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et la mère, le visage caché dans leurs mouchoirs, fondaient en larmes. Autour de ces quatre chefs de la famille, se tenaient à genoux deux sœurs mariées, accompagnées de leurs maris. Puis, trois fils stupides de douleur. Cinq petits enfants agenouillés, dont le plus âgé n’avait que sept ans, ne comprenaient sans doute point ce dont il s’agissait, ils regardaient, ils écoutaient avec la curiosité torpide en apparence qui distingue le paysan, mais qui est l’observation des choses physiques poussée au plus haut degré. Enfin, la pauvre fille emprisonnée par un désir de la justice, la dernière venue, cette Denise, martyre de son amour fraternel, écoutait d’un air qui tenait à la fois de l’égarement et de l’incrédulité. Pour elle, son frère ne pouvait pas mourir. Elle représentait admirablement celle des trois Marie qui ne croyait pas à la mort du Christ, tout en en partageant l’agonie. Pâle, les yeux secs, comme le sont ceux des personnes qui ont beaucoup veillé, sa fraîcheur était déjà flétrie moins par les travaux champêtres que par le chagrin ; mais elle avait encore la beauté des filles de la campagne, des formes pleines et rebondies, de beaux bras rouges, une figure toute ronde, des yeux purs, allumés en ce moment par l’éclair du désespoir. Sous le cou, à plusieurs places, une chair ferme et blanche que le soleil n’avait pas brunie annonçait une riche carnation, une blancheur cachée. Les deux filles mariées pleuraient ; leurs maris, cultivateurs patients, étaient graves. Les trois autres garçons, profondément tristes, tenaient leurs yeux abaissés vers la terre. Dans ce tableau horrible de résignation et de douleur sans espoir, Denise et sa mère offraient seules une teinte de révolte. Les autres habitants s’associaient à l’affliction de cette famille respectable par une sincère et pieuse commisération qui donnait à tous les visages la même expression, et qui monta jusqu’à l’effroi quand les quelques phrases du curé firent comprendre qu’en ce moment le couteau tombait sur la tête de ce jeune homme que tous connaissaient, avaient vu naître, avaient jugé sans doute incapable de commettre un crime. Les sanglots qui interrompirent la simple et courte allocution que le prêtre devait faire à ses ouailles, le troublèrent à un point qu’il la cessa promptement, en les invitant à prier avec ferveur. Quoique ce spectacle ne fût pas de nature à surprendre un prêtre, Gabriel de Rastignac était trop jeune pour ne pas être profondément touché. Il n’avait pas encore exercé les vertus du prêtre, il se savait appelé à d’autres destinées, il n’avait pas à aller sur toutes les brèches