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cliner sous leurs tabernacles, ne donnait que trente sous de pourboire aux postillons, il allait donc lentement. Les postillons mènent fort respectueusement les évêques qui ne font que doubler le salaire accordé par l’ordonnance, mais ils ne causent aucun dommage à la voiture épiscopale de peur d’encourir quelque disgrâce. L’abbé Gabriel, qui voyageait seul pour la première fois, disait d’une voix douce à chaque relais : « — Allez donc plus vite, messieurs les postillons. — Nous ne jouons du fouet, lui répondit un vieux postillon, que si les voyageurs jouent du pouce ! » Le jeune abbé s’enfonça dans le coin de la voiture sans pouvoir s’expliquer cette réponse. Pour se distraire, il étudia le pays qu’il traversait, et fit à pied plusieurs des côtes sur lesquelles serpente la route de Bordeaux à Lyon.

À cinq lieues au delà de Limoges, après les gracieux versants de la Vienne et les jolies prairies en pente du Limousin qui rappellent la Suisse en quelques endroits, et particulièrement à Saint-Léonard, le pays prend un aspect triste et mélancolique. Il se trouve alors de vastes plaines incultes, des steppes sans herbe ni chevaux, mais bordés à l’horizon par les hauteurs de la Corrèze. Ces montagnes n’offrent aux yeux du voyageur ni l’élévation à pied droit des Alpes et leurs sublimes déchirures, ni les gorges chaudes et les cimes désolées de l’Apennin, ni le grandiose des Pyrénées ; leurs ondulations, dues au mouvement des eaux, accusent l’apaisement de la grande catastrophe et le calme avec lequel les masses fluides se sont retirées. Cette physionomie, commune à la plupart des mouvements de terrain en France, a peut-être contribué autant que le climat à lui mériter le nom de douce que l’Europe lui a confirmé. Si cette plate transition, entre les paysages du Limousin, ceux de la Marche et ceux de l’Auvergne, présente au penseur et au poëte qui passent les images de l’infini, l’effroi de quelques âmes ; si elle pousse à la rêverie la femme qui s’ennuie en voiture ; pour l’habitant, cette nature est âpre, sauvage et sans ressources. Le sol de ces grandes plaines grises est ingrat. Le voisinage d’une capitale pourrait seul y renouveler le miracle qui s’est opéré dans la Brie pendant les deux derniers siècles. Mais là, manquent ces grandes résidences qui parfois vivifient ces déserts où l’agronome voit des lacunes, où la civilisation gémit, où le touriste ne trouve ni auberge ni ce qui le charme, le pittoresque. Les esprits élevés ne haïssent pas ces landes, ombres nécessaires dans le vaste tableau