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fois vaincues, l’attachement prend d’autant plus de force, que l’âme s’y obstine comme à sa propre création. On aime. Là est la raison des passions conçues par de belles personnes pour des êtres laids en apparence. La forme, oubliée par l’affection, ne se voit plus chez une créature dont l’âme est alors seule appréciée. D’ailleurs la beauté, si nécessaire à une femme, prend chez l’homme un caractère si étrange, qu’il y a peut-être autant de dissentiment entre les femmes sur la beauté de l’homme qu’entre les hommes sur la beauté des femmes. Après mille réflexions, après bien des débats avec elle-même, Véronique laissa donc publier les bans. Dès lors, il ne fut bruit dans tout Limoges que de cette aventure incroyable. Personne n’en connaissait le secret, l’énormité de la dot. Si cette dot eût été connue, Véronique aurait pu choisir un mari ; mais peut-être aussi eût-elle été trompée ! Graslin passait pour s’être pris d’amour. Il vint des tapissiers de Paris, qui arrangèrent la belle maison. On ne parla dans Limoges que des profusions du banquier : on chiffrait la valeur des lustres, on racontait les dorures du salon, les sujets des pendules ; on décrivait les jardinières, les chauffeuses, les objets de luxe, les nouveautés. Dans le jardin de l’hôtel Graslin, il y avait, au-dessus d’une glacière, une volière délicieuse, et chacun fut surpris d’y voir des oiseaux rares, des perroquets, des faisans de la Chine, des canards inconnus, car on vint les voir. Monsieur et madame Grossetête, vieilles gens considérés dans Limoges, firent plusieurs visites chez les Sauviat accompagnés de Graslin. Madame Grossetête, femme respectable, félicita Véronique sur son heureux mariage. Ainsi l’Église, la Famille, le Monde, tout jusqu’aux moindres choses fut complice de ce mariage.

Au mois d’avril, les invitations officielles furent remises chez toutes les connaissances de Graslin. Par une belle journée, une calèche et un coupé attelés à l’anglaise de chevaux limousins choisis par le vieux Grossetête, arrivèrent à onze heures devant la modeste boutique du ferrailleur, amenant, au grand émoi du quartier, les anciens patrons du marié et ses deux commis. La rue fut pleine de monde accouru pour voir la fille des Sauviat, à qui le plus renommé coiffeur de Limoges avait posé sur ses beaux cheveux la couronne des mariées, et un voile de dentelle d’Angleterre du plus haut prix. Véronique était simplement mise en mousseline blanche. Une assemblée assez imposante des femmes les plus distinguées