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sa poursuite, tombe dans un libertinage de bon ton, et arrive à s’étonner d’une passion réelle autant que le monde s’étonne d’une belle action. J’imitais les autres, je blessais souvent des âmes fraîches et nobles par les mêmes coups qui me meurtrissaient secrètement. Malgré ces fausses apparences qui me faisaient mal juger, il y avait en moi une intraitable délicatesse à laquelle j’obéissais toujours. Je fus dupé dans bien des occasions où j’eusse rougi de ne pas l’être, et je me déconsidérai par cette bonne foi de laquelle je m’applaudissais intérieurement. En effet, le monde est plein de respect pour l’habileté, sous quelque forme qu’elle se montre. Pour lui, le résultat fait en tout la loi. Le monde m’attribua donc des vices, des qualités, des victoires et des revers que je n’avais pas ; il me prêtait des succès galants que j’ignorais ; il me blâmait d’actions auxquelles j’étais étranger ; par fierté, je dédaignais de démentir les calomnies, et j’acceptais par amour-propre les médisances favorables. Ma vie était heureuse en apparence, misérable en réalité. Sans les malheurs qui fondirent bientôt sur moi, j’aurais graduellement perdu mes bonnes qualités et laissé triompher les mauvaises par le jeu continuel des passions, par l’abus des jouissances qui énervent le corps, et par les détestables habitudes de l’égoïsme qui usent les ressorts de l’âme. Je me ruinai. Voici comment. À Paris, quelle que soit la fortune d’un homme, il rencontre toujours une fortune supérieure de laquelle il fait son point de mire et qu’il veut surpasser. Victime de ce combat comme tant d’écervelés, je fus obligé de vendre, au bout de quatre ans, quelques propriétés, et d’hypothéquer les autres. Puis un coup terrible vint me frapper. J’étais resté près de deux ans sans avoir vu la personne que j’avais abandonnée ; mais au train dont j’allais, le malheur m’aurait sans doute ramené vers elle. Un soir, au milieu d’une joyeuse partie, je reçus un billet tracé par une main faible, et qui contenait à peu près ces mots : « Je n’ai plus que quelques moments à vivre ; mon ami, je voudrais vous voir pour connaître le sort de mon enfant, savoir s’il sera le vôtre ; et aussi, pour adoucir les regrets que vous pourriez avoir un jour de ma mort. » Cette lettre me glaça, elle révélait les douleurs secrètes du passé, comme elle renfermait les mystères de l’avenir. Je sortis, à pied, sans attendre ma voiture, et traversai tout Paris, poussé par mes remords, en proie à la violence d’un premier sentiment qui devint durable aussitôt que je vis ma victime. La propreté sous laquelle