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ni se défendre ni attaquer, il aime les femmes et les respecte comme s’il en avait peur ; ses qualités le desservent, il est tout générosité, tout pudeur, et pur des calculs intéressés de l’avarice ; s’il ment, c’est pour son plaisir et non pour sa fortune ; au milieu de voies douteuses, sa conscience, avec laquelle il n’a pas encore transigé, lui indique le bon chemin, et il tarde à le suivre. Les hommes destinés à vivre par les inspirations du cœur, au lieu d’écouter les combinaisons qui émanent de la tête, restent long-temps dans cette situation. Ce fut mon histoire. Je devins le jouet de deux causes contraires. Je fus à la fois poussé par les désirs du jeune homme et toujours retenu par sa niaiserie sentimentale. Les émotions de Paris sont cruelles pour les âmes douées d’une vive sensibilité : les avantages dont y jouissent les gens supérieurs ou les gens riches irritent les passions ; dans ce monde de grandeur et de petitesse, la jalousie sert plus souvent de poignard que d’aiguillon ; au milieu de la lutte constante des ambitions, des désirs et des haines, il est impossible de ne pas être ou la victime ou le complice de ce mouvement général ; insensiblement, le tableau continuel du vice heureux et de la vertu persiflée fait chanceler un jeune homme ; la vie parisienne lui enlève bientôt le velouté de la conscience ; alors commence et se consomme l’œuvre infernale de sa démoralisation. Le premier des plaisirs, celui qui comprend d’abord tous les autres, est environné de tels périls, qu’il est impossible de ne pas réfléchir aux moindres actions qu’il provoque, et de ne pas en calculer toutes les conséquences. Ces calculs mènent à l’égoïsme. Si quelque pauvre étudiant entraîné par l’impétuosité de ses passions est disposé à s’oublier, ceux qui l’entourent lui montrent et lui inspirent tant de méfiance, qu’il lui est bien difficile de ne pas la partager, de ne pas se mettre en garde contre ses idées généreuses. Ce combat dessèche, rétrécit le cœur, pousse la vie au cerveau, et produit cette insensibilité parisienne, ces mœurs où, sous la frivolité la plus gracieuse, sous des engouements qui jouent l’exaltation, se cachent la politique ou l’argent. Là, l’ivresse du bonheur n’empêche pas la femme la plus naïve de toujours garder sa raison. Cette atmosphère dut influer sur ma conduite et sur mes sentiments. Les fautes qui empoisonnèrent mes jours eussent été d’un léger poids sur le cœur de beaucoup de gens ; mais les méridionaux ont une foi religieuse qui les fait croire aux vérités catholiques et à une autre vie. Ces croyances