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peut recueillir mes larmes secrètes, ni me donner cette poignée de main d’honnête homme, la plus belle des récompenses, qui ne manque à personne, pas même à Gondrin.

Par un mouvement subit, Genestas tendit la main à Benassis, que ce geste émut fortement.

— Peut-être la Fosseuse m’eût-elle angéliquement entendu, reprit-il d’une voix altérée ; mais elle m’aurait aimé peut-être, et c’eût été un malheur. Tenez, capitaine, un vieux soldat indulgent comme vous l’êtes, ou un jeune homme plein d’illusions, pouvait seul écouter ma confession, car elle ne saurait être comprise que par un homme auquel la vie est bien connue, ou par un enfant à qui elle est tout à fait étrangère. Faute de prêtre, les anciens capitaines mourant sur le champ de bataille se confessaient à la croix de leur épée, ils en faisaient une fidèle confidente entre eux et Dieu. Or, vous, une des meilleures lames de Napoléon, vous, dur et fort comme l’acier, peut-être m’entendrez-vous bien ? Pour s’intéresser à mon récit, il faut entrer dans certaines délicatesses de sentiment et partager des croyances naturelles aux cœurs simples, mais qui paraîtraient ridicules à beaucoup de philosophes habitués à se servir, pour leurs intérêts privés, des maximes réservées au gouvernement des États. Je vais vous parler de bonne foi, comme un homme qui ne veut justifier ni le bien ni le mal de sa vie, mais qui ne vous en cachera rien, parce qu’il est aujourd’hui loin du monde, indifférent au jugement des hommes, et plein d’espérance en Dieu.

Benassis s’arrêta, puis il se leva en disant : — Avant d’entamer mon récit, je vais commander le thé. Depuis douze ans, Jacquotte n’a jamais manqué à venir me demander si j’en prenais, elle nous interromprait certainement. En voulez-vous, capitaine ?

— Non, je vous remercie.

Benassis rentra promptement.


CHAPITRE IV.

LA CONFESSION DU MÉDECIN DE CAMPAGNE.

« Je suis né, reprit le médecin, dans une petite ville du Languedoc, où mon père s’était fixé depuis longtemps, et où s’est écoulée ma première enfance. À l’âge de huit ans, je fus mis au collége de Sorrèze,