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véritable, ne prend que mille hommes, et vous a décousu tout de même l’armée d’un pacha qui avait la prétention de se mettre en travers. Pour lors, nous revenons au Caire, notre quartier général. Autre histoire. Napoléon absent, la France s’était laissé détruire le tempérament par les gens de Paris qui gardaient la solde des troupes, leur masse de linge, leurs habits, les laissaient crever de faim, et voulaient qu’elles fissent la loi à l’univers, sans s’en inquiéter autrement. C’était des imbéciles qui s’amusaient à bavarder au lieu de mettre la main à la pâte. Et donc, nos armées étaient battues, les frontières de la France entamées : L’HOMME n’était plus là. Voyez-vous, je dis l’homme, parce qu’on l’a nommé comme ça, mais c’était une bêtise, puisqu’il avait une étoile et toutes ses particularités : c’était nous autres qui étions les hommes ! Il apprend l’histoire de France après sa fameuse bataille d’Aboukir, où, sans perdre plus de trois cents hommes, et, avec une seule division, il a vaincu la grande armée des Turcs forte de vingt-cinq mille hommes, et il en a bousculé dans la mer plus d’une grande moitié, rrah ! Ce fut son dernier coup de tonnerre en Égypte. Il se dit, voyant tout perdu là-bas : « Je suis le sauveur de la France, je le sais, faut que j’y aille. » Mais comprenez bien que l’armée n’a pas su son départ, sans quoi on l’aurait gardé de force, pour le faire empereur d’Orient. Aussi nous voilà tous tristes, quand nous sommes sans lui, parce qu’il était notre joie. Lui, laisse son commandement à Kléber, un grand mâtin qu’a descendu la garde, assassiné par un Égyptien qu’on a fait mourir en lui mettant une baïonnette dans le derrière, qui est la manière de guillotiner dans ce pays-là ; mais ça fait tant souffrir, qu’un soldat a eu pitié de ce criminel, il lui a tendu sa gourde ; et aussitôt que l’Égyptien a eu bu de l’eau, il a tortillé de l’œil avec un plaisir infini. Mais nous ne nous amusons pas à cette bagatelle. Napoléon met le pied sur une coquille de noix, un petit navire de rien du tout qui s’appelait La Fortune, et, en un clin d’œil, à la barbe de l’Angleterre qui le bloquait avec des vaisseaux de ligne, frégates et tout ce qui faisait voile, il débarque en France, car il a toujours eu le don de passer les mers en une enjambée. Était-ce naturel ! Bah ! aussitôt qu’il est à Fréjus, autant dire qu’il a les pieds dans Paris. Là, tout le monde l’adore ; mais lui, convoque le Gouvernement. « Qu’avez-vous fait de mes enfants les soldats ? qui dit aux avocats ; vous êtes un tas de galapiats qui vous fichez du monde, et