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la tranquillité de la masse que ne l’est la masse elle-même. Il faut aux peuples un bonheur tout fait. En vous mettant à ce point de vue pour considérer la société, si vous l’embrassez dans son ensemble, vous allez bientôt reconnaître avec moi que le droit d’élection ne doit être exercé que par les hommes qui possèdent la fortune, le pouvoir ou l’intelligence, et vous reconnaîtrez également que leurs mandataires ne peuvent avoir que des fonctions extrêmement restreintes. Le législateur, messieurs, doit être supérieur à son siècle. Il constate la tendance des erreurs générales, et précise les points vers lesquels inclinent les idées d’une nation ; il travaille donc encore plus pour l’avenir que pour le présent, plus pour la génération qui grandit que pour celle qui s’écoule. Or, si vous appelez la masse à faire la loi, la masse peut-elle être supérieure à elle-même ? Non. Plus l’assemblée représentera fidèlement les opinions de la foule, moins elle aura l’entente du gouvernement, moins ses vues seront élevées, moins précise, plus vacillante sera sa législation. La loi emporte un assujettissement à des règles, toute règle est en opposition aux mœurs naturelles, aux intérêts de l’individu ; la masse portera-t-elle des lois contre elle-même ? Non. Souvent la tendance des lois doit être en raison inverse de la tendance des mœurs. Mouler les lois sur les mœurs générales, ne serait-ce pas donner, en Espagne, des primes d’encouragement à l’intolérance religieuse et à la fainéantise ; en Angleterre, à l’esprit mercantile ; en Italie, à l’amour des arts destinés à exprimer la société, mais qui ne peuvent pas être toute la société ; en Allemagne, aux classifications nobiliaires ; en France, à l’esprit de légèreté, à la vogue des idées, aux factions qui nous ont toujours dévorés. Qu’est-il arrivé depuis plus de quarante ans que les colléges électoraux mettent la main aux lois ! nous avons quarante mille lois. Un peuple qui a quarante mille lois n’a pas de loi. Cinq cents intelligences médiocres peuvent-elles avoir la force de s’élever à ces considérations ? Non. Les hommes sortis de cinq cents localités différentes ne comprendront jamais d’une même manière l’esprit de la loi et la loi doit être une. Mais, je vais plus loin. Tôt ou tard une assemblée tombe sous le sceptre d’un homme, et au lieu d’avoir des dynasties de rois, vous avez les changeantes et coûteuses dynasties des premiers ministres. Au bout de toute délibération se trouvent Mirabeau, Danton, Roberspierre ou Napoléon : des proconsuls ou un empereur. En