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et les champs, comme s’il s’agissait d’une course au clocher, tant il désirait surprendre le tireur en flagrant délit.

— L’homme que vous cherchez se sauve, lui cria Genestas qui le suivait à peine.

Benassis fit retourner vivement son cheval, revint sur ses pas, et l’homme qu’il cherchait se montra bientôt sur une roche escarpée, à cent pieds au-dessus des deux cavaliers.

— Butifer, cria Benassis en lui voyant un long fusil, descends !

Butifer reconnut le médecin et répondit par un signe respectueusement amical qu’annonçait une parfaite obéissance.

— Je conçois, dit Genestas, qu’un homme poussé par la peur ou par quelque sentiment violent ait pu monter sur cette pointe de roc, mais comment va-t-il faire pour en descendre ?

— Je ne suis pas inquiet, répondit Benassis, les chèvres doivent être jalouses de ce gaillard-là ! Vous allez voir.

Habitué, par les événements de la guerre, à juger de la valeur intrinsèque des hommes, le commandant admira la singulière prestesse, l’élégante sécurité des mouvements de Butifer, pendant qu’il descendait le long des aspérités de la roche au sommet de laquelle il était audacieusement parvenu. Le corps svelte et vigoureux du chasseur s’équilibrait avec grâce dans toutes les positions que l’escarpement du chemin l’obligeait à prendre ; il mettait le pied sur une pointe de roc plus tranquillement que s’il l’eût posé sur un parquet, tant il semblait sûr de pouvoir s’y tenir au besoin. Il maniait son long fusil comme s’il n’avait eu qu’une canne à la main. Butifer était un homme jeune, de taille moyenne, mais sec, maigre et nerveux, de qui la beauté virile frappa Genestas quand il le vit près de lui. Il appartenait visiblement à la classe des contrebandiers qui font leur métier sans violence et n’emploient que la ruse et la patience pour frauder le fisc. Il avait une mâle figure, brûlée par le soleil. Ses yeux, d’un jaune clair, étincelaient comme ceux d’un aigle, avec le bec duquel son nez mince, légèrement courbé par le bout, avait beaucoup de ressemblance. Les pommettes de ses joues étaient couvertes de duvet. Sa bouche rouge, entrouverte à demi, laissait apercevoir des dents d’une étincelante blancheur. Sa barbe, ses moustaches, ses favoris roux qu’il laissait pousser et qui frisaient naturellement, rehaussaient encore la mâle et terrible expression de sa figure. En lui tout était force. Les muscles de ses mains continuellement exercées avaient une con-