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gravit les montagnes au grand galop sans mouiller son poil, et trotte d’un pied sûr le long des précipices. C’est un cadeau bien gagné, d’ailleurs. Un père a cru me payer ainsi la vie de sa fille, une des plus riches héritières de l’Europe, que j’ai trouvée mourant sur la route de Savoie. Si je vous disais comment j’ai guéri cette jeune personne, vous me prendriez pour un charlatan. Eh ! eh ! j’entends des grelots de chevaux et le bruit d’une charrette dans le sentier, voyons si par hasard ce serait Vigneau lui-même, et regardez bien cet homme.

Bientôt l’officier aperçut quatre énormes chevaux harnachés comme ceux que possèdent les cultivateurs les plus aisés de la Brie. Les bouffettes de laine, les grelots, les cuirs avaient une sorte de propreté cossue. Dans cette vaste charrette, peinte en bleu, se trouvait un gros garçon joufflu bruni par le soleil, et qu’il sifflait en tenant son fouet comme un fusil au port d’armes.

— Non, ce n’est que le charretier, dit Benassis. Admirez un peu comme le bien-être industriel du maître se reflète sur tout, même sur l’équipage de ce voiturier ! N’est-ce pas l’indice d’une intelligence commerciale assez rare au fond des campagnes ?

— Oui, oui, tout cela paraît très bien ficelé, reprit le militaire.

— Eh ! bien, Vigneau possède deux équipages semblables. En outre, il a le petit bidet d’allure sur lequel il va faire ses affaires, car son commerce s’étend maintenant fort loin, et quatre ans auparavant cet homme ne possédait rien ; je me trompe, il avait des dettes. Mais entrons.

— Mon garçon, dit Benassis au charretier, madame Vigneau doit être chez elle ?

— Monsieur, elle est dans le jardin, je viens de l’y voir par-dessus la haie, je vais la prévenir de votre arrivée.

Genestas suivit Benassis qui lui fit parcourir un vaste terrain fermé par des haies. Dans un coin étaient amoncelées les terres blanches et l’argile nécessaires à la fabrication des tuilles et des carreaux, d’un autre côté, s’élevaient en tas les fagots de bruyères et le bois pour chauffer le four ; plus loin, sur une aire enceinte par des claies, plusieurs ouvriers concassaient des pierres blanches ou manipulaient les terres à brique ; en face de l’entrée, sous les grands ormes, était la fabrique de tuiles rondes et carrées, grande salle de verdure terminée par les toits de la sécherie, près de laquelle se voyait le four et sa gueule profonde, ses longues pelles,