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lants et venants. Ce fut un mouvement général dans le pays. La circulation de l’argent faisait naître chez tout le monde le désir d’en gagner, l’apathie avait cessé, le bourg s’était réveillé. Je finis en deux mots l’histoire de monsieur Gravier, l’un des bienfaiteurs de ce canton. Malgré la défiance assez naturelle à un citadin de province, à un homme de bureau, il a, sur la foi de mes promesses, avancé plus de quarante mille francs sans savoir s’il les recouvrerait. Chacune de ses fermes est louée aujourd’hui mille francs, ses fermiers ont si bien fait leurs affaires que chacun d’eux possède au moins cent arpents de terre, trois cents moutons, vingt vaches, dix bœufs, cinq chevaux, et emploie plus de vingt personnes. Je reprends. Dans le cours de la quatrième année nos fermes furent achevées. Nous eûmes une récolte en blé qui parut miraculeuse aux gens du pays, abondante comme elle devait l’être dans un terrain vierge. J’ai bien souvent tremblé pour mon œuvre pendant cette année ! La pluie ou la sécheresse pouvait ruiner mon ouvrage en amoindrissant la confiance que j’inspirais déjà. La culture du blé nécessita le moulin que vous avez vu, et qui me rapporte environ cinq cents francs par an. Aussi les paysans disent-ils dans leur langage que j’ai la chance, et croient-ils en moi comme en leurs reliques. Ces constructions nouvelles, les fermes, le moulin, les plantations, les chemins ont donné de l’ouvrage à tous les gens de métier que j’avais attirés ici. Quoique nos bâtiments représentent bien les soixante mille francs que nous avons jetés dans le pays, cet argent nous fut amplement rendu par les revenus que créent les consommateurs. Mes efforts ne cessaient d’animer cette naissante industrie. Par mon avis un jardinier pépiniériste vint s’établir dans le bourg, où je prêchais aux plus pauvres de cultiver les arbres fruitiers afin de pouvoir un jour conquérir à Grenoble le monopole de la vente des fruits. « — Vous y portez des fromages, leur disais-je, pourquoi ne pas y porter des volailles, des œufs, des légumes, du gibiers du foin, de la paille, etc. ? » Chacun de mes conseils était la source d’une fortune, ce fut à qui les suivrait. Il se forma donc une multitude de petits établissements dont les progrès, lents d’abord, ont été de jour en jour plus rapides. Tous les lundis il part maintenant du bourg pour Grenoble plus de soixante charrettes pleines de nos divers produits, et il se récolte plus de sarrasin pour nourrir les volailles qu’il ne s’en semait autrefois pour nourrir les hommes. Devenu trop considérable, le commerce