Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/336

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

faire manger des choux pour des perdrix ; sans elle, il eût gardé bien souvent la même chemise pendant huit jours. Mais Jacquotte était une infatigable plieuse de linge, par caractère frotteuse de meubles, amoureuse d’une propreté tout ecclésiastique, la plus minutieuse, la plus reluisante, la plus douce des propretés. Ennemie de la poussière, elle époussetait, lavait, blanchissait sans cesse. L’état de la porte extérieure lui causait une vive peine. Depuis dix ans elle tirait de son maître, tous les premiers du mois, la promesse de faire mettre cette porte à neuf, de réchampir les murs de la maison, et de tout arranger gentiment, et monsieur n’avait pas encore tenu sa parole. Aussi, quand elle venait à déplorer la profonde insouciance de Benassis, manquait-elle rarement à prononcer cette phrase sacramentale par laquelle se terminaient tous les éloges de son maître : — « On ne peut pas dire qu’il soit bête, puisqu’il fait quasiment des miracles dans l’endroit ; mais il est quelquefois bête tout de même, mais bête qu’il faut tout lui mettre dans la main comme à un enfant ! » Jacquotte aimait la maison comme une chose à elle. D’ailleurs, après y avoir demeuré pendant vingt-deux ans, peut-être avait-elle le droit de se faire illusion ? En venant dans le pays, Benassis, ayant trouvé cette maison en vente par suite de la mort du curé, avait tout acheté, murs et terrain, meubles, vaisselle, vin, poules, le vieux cartel à figures, le cheval et la servante. Jacquotte, le modèle du genre cuisinière, montrait un corsage épais, invariablement enveloppé d’une indienne brune semée de pois rouges, ficelé, serré de manière à faire croire que l’étoffe allait craquer au moindre mouvement. Elle portait un bonnet rond plissé, sous lequel sa figure un peu blafarde et à double menton paraissait encore plus blanche qu’elle ne l’était. Petite, agile, la main leste et potelée, Jacquotte parlait haut et continuellement. Si elle se taisait un instant, et prenait le coin de son tablier pour le relever triangulairement, ce geste annonçait quelque longue remontrance adressée au maître ou au valet. De toutes les cuisinières du royaume, Jacquotte était certes la plus heureuse. Pour rendre son bonheur aussi complet qu’un bonheur peut l’être ici-bas, sa vanité se trouvait sans cesse satisfaite, le bourg l’acceptait comme une autorité mixte placée entre le maire et le garde champêtre.

En entrant dans la cuisine, le maître n’y trouva personne. — Où diable sont-ils donc allés ? dit-il. Pardonnez-moi, reprit-il en se