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nent si fraîche et si douce à l’œil pendant toutes les saisons ; tantôt un moulin à scie montre ses humbles constructions pittoresquement placées, sa provision de longs sapins sans écorce, et son cours d’eau pris au torrent et conduit par de grands tuyaux de bois carrément creusés, d’où s’échappe par les fentes une nappe de filets humides. Çà et là, des chaumières entourées de jardins pleins d’arbres fruitiers couverts de fleurs réveillent les idées qu’inspire une misère laborieuse ; plus loin, des maisons à toitures rouges, composées de tuiles plates et rondes semblables à des écailles de poisson, annoncent l’aisance due à de longs travaux ; puis au-dessus de chaque porte se voit le panier suspendu dans lequel sèchent les fromages. Partout les haies, les enclos sont égayés par des vignes mariées, comme en Italie, à de petits ormes dont le feuillage se donne aux bestiaux. Par un caprice de la nature, les collines sont si rapprochées en quelques endroits qu’il ne se trouve plus ni fabriques, ni champs, ni chaumières. Séparées seulement par le torrent qui rugit dans ses cascades, les deux hautes murailles granitiques s’élèvent tapissées de sapins à noir feuillage et de hêtres hauts de cent pieds. Tous droits, tous bizarrement colorés par des taches de mousse, tous divers de feuillage, ces arbres forment de magnifiques colonnades bordées au-dessous et au-dessus du chemin par d’informes haies d’arbousiers, de viornes, de buis, d’épine rose. Les vives senteurs de ces arbustes se mêlaient alors aux sauvages parfums de la nature montagnarde, aux pénétrantes odeurs des jeunes pousses du mélèze, des peupliers et des pins gommeux. Quelques nuages couraient parmi les rochers en se voilant, en en découvrant tour à tour les cimes grisâtres, souvent aussi vaporeuses que les nuées dont les moelleux flocons s’y déchiraient. À tout moment le pays changeait d’aspect et le ciel de lumière ; les montagnes changeaient de couleur, les versants de nuances, les vallons de forme : images multipliées que des oppositions inattendues, soit un rayon de soleil à travers les troncs d’arbres, soit une clairière naturelle ou quelques éboulis, rendaient délicieuses à voir au milieu du silence, dans la saison où tout est jeune, où le soleil enflamme un ciel pur. Enfin c’était un beau pays, c’était la France !

Homme de haute taille, le voyageur était entièrement vêtu de drap bleu aussi soigneusement brossé que devait l’être chaque matin son cheval au poil lisse, sur lequel il se tenait droit et vissé comme un vieil officier de cavalerie. Si déjà sa cravate noire et ses