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— Grâce au ciel, ce n’est pas lui qu’ils viennent de tuer, s’écria-t-elle en jetant cette lettre au feu.

Elle respira plus librement et lut avec avidité le billet qu’on venait de lui envoyer ; il était du marquis et semblait adressé à madame du Gua.

« Non, mon ange, je n’irai pas ce soir à la Vivetière. Ce soir, vous perdez votre gageure avec le comte et je triomphe de la République en la personne de cette fille délicieuse, qui vaut certes bien une nuit, convenez-en. Ce sera le seul avantage réel que je remporterai dans cette campagne, car la Vendée se soumet. Il n’y a plus rien à faire en France, et nous repartirons sans doute ensemble pour l’Angleterre. Mais à demain les affaires sérieuses. »

Le billet lui échappa des mains, elle ferma les yeux, garda un profond silence, et resta penchée en arrière, la tête appuyée sur un coussin. Après une longue pause, elle leva les yeux sur la pendule qui alors marquait quatre heures.

— Et monsieur se fait attendre, dit-elle avec une cruelle ironie.

— Oh ! s’il pouvait ne pas venir, reprit Francine.

— S’il ne venait pas, dit Marie d’une voix sourde, j’irais au-devant de lui, moi ! Mais non, il ne peut tarder maintenant. Francine, suis-je bien belle ?

— Vous êtes bien pâle !

— Vois, reprit mademoiselle de Verneuil, cette chambre parfumée, ces fleurs, ces lumières, cette vapeur enivrante, tout ici pourra-t-il bien donner l’idée d’une vie céleste à celui que je veux plonger cette nuit dans les délices de l’amour.

— Qu’y a-t-il donc, mademoiselle ?

— Je suis trahie, trompée, abusée, jouée, rouée, perdue, et je veux le tuer, le déchirer. Mais oui, il y avait toujours dans ses manières un mépris qu’il cachait mal, et que je ne voulais pas voir ! Oh ! j’en mourrai ! — Sotte que je suis, dit-elle en riant, il vient, j’ai la nuit pour lui apprendre que, mariée ou non, un homme qui m’a possédée ne peut plus m’abandonner. Je lui mesurerai la vengeance à l’offense, et il périra désespéré. Je lui croyais quelque grandeur dans l’âme, mais c’est sans doute le fils d’un laquais ! Il m’a certes bien habilement trompée, car j’ai peine à croire encore que l’homme capable de me livrer à Pille-miche sans pitié puisse descendre à des fourberies dignes de Scapin. Il est si facile de se jouer d’une femme aimante, que c’est la dernière des lâchetés.