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à leur faire former derrière la tête ce cône imparfait et aplati qui donne tant de grâce à la figure de quelques statues antiques par une prolongation factice de la tête, et quelques boucles réservées au-dessus du front retombèrent de chaque côté de son visage en longs rouleaux brillants. Ainsi vêtue, ainsi coiffée, elle offrit une ressemblance parfaite avec les plus illustres chefs-d’œuvre du ciseau grec. Quand elle eut, par un sourire, donné son approbation à cette coiffure dont les moindres dispositions faisaient ressortir les beautés de son visage, elle y posa la couronne de houx qu’elle avait préparée et dont les nombreuses baies rouges répétèrent heureusement dans ses cheveux la couleur de la tunique. Tout en tortillant quelques feuilles pour produire des oppositions capricieuses entre leur sens et le revers, mademoiselle de Verneuil regarda dans une glace l’ensemble de sa toilette pour juger de son effet.

— Je suis horrible ce soir ! dit-elle comme si elle eût été entourée de flatteurs. J’ai l’air d’une statue de la Liberté.

Elle plaça soigneusement son poignard au milieu de son corset en laissant passer les rubis qui en ornaient le bout et dont les reflets rougeâtres devaient attirer les yeux sur les trésors que sa rivale avait si indignement prostitués. Francine ne put se résoudre à quitter sa maîtresse. Quand elle la vit près de partir, elle sut trouver, pour l’accompagner, des prétextes dans tous les obstacles que les femmes ont à surmonter en allant à une fête dans une petite ville de la Basse-Bretagne. Ne fallait-il pas qu’elle débarrassât mademoiselle de Verneuil de son manteau, de la double chaussure que la boue et le fumier de la rue l’avaient obligée à mettre, quoiqu’on l’eût fait sabler, et du voile de gaze sous lequel elle cachait sa tête aux regards des Chouans que la curiosité attirait autour de la maison où la fête avait lieu. La foule était si nombreuse, qu’elles marchèrent entre deux haies de Chouans. Francine n’essaya plus de retenir sa maîtresse, mais après lui avoir rendu les derniers services exigés par une toilette dont le mérite consistait dans une extrême fraîcheur, elle resta dans la cour pour ne pas l’abandonner aux hasards de sa destinée sans être à même de voler à son secours, car la pauvre Bretonne ne prévoyait que des malheurs.

Une scène assez étrange avait lieu dans l’appartement de Montauran, au moment où Marie de Verneuil se rendait à la fête. Le