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dit à elle-même à voix basse : — Ce gros garçon-là m’a livré plus que sa vie pour sa vie ! j’en ferais ma créature à bien peu de frais ! Une créature ou un créateur, voilà donc toute la différence qui existe entre un homme et un autre !

Elle n’acheva pas, jeta un regard de désespoir vers le ciel, et regagna lentement la porte Saint-Léonard, où l’attendaient Hulot et Corentin.

— Encore deux jours, s’écria-t-elle, et… Elle s’arrêta en voyant qu’ils n’étaient pas seuls, et il tombera sous vos fusils, dit-elle à l’oreille de Hulot.

Le commandant recula d’un pas et regarda d’un air de goguenarderie difficile à rendre cette fille dont la contenance et le visage n’accusaient aucun remords. Il y a cela d’admirable chez les femmes qu’elles ne raisonnent jamais leurs actions les plus blâmables, le sentiment les entraîne ; il y a du naturel même dans leur dissimulation, et c’est chez elles seules que le crime se rencontre sans bassesse, la plupart du temps elles ne savent pas comment cela s’est fait.

— Je vais à Saint-James, au bal donné par les Chouans, et…

— Mais, dit Corentin en interrompant, il y a cinq lieues, voulez-vous que je vous y accompagne ?

— Vous vous occupez beaucoup, lui dit-elle, d’une chose à laquelle je ne pense jamais… de vous.

Le mépris que Marie témoignait à Corentin plut singulièrement à Hulot, qui fit sa grimace en la voyant disparaître vers Saint-Léonard ; Corentin la suivit des yeux en laissant éclater sur sa figure une sourde conscience de la fatale supériorité qu’il croyait pouvoir exercer sur cette charmante créature, en en gouvernant les passions sur lesquelles il comptait pour la trouver un jour à lui. Mademoiselle de Verneuil, de retour chez elle, s’empressa de délibérer sur ses parures de bal. Francine, habituée à obéir sans jamais comprendre les fins de sa maîtresse, fouilla les cartons et proposa une parure grecque. Tout subissait alors le système grec. La toilette agréée par Marie put tenir dans un carton facile à porter.

— Francine, mon enfant, je vais courir les champs ; vois si tu veux rester ici ou me suivre.

— Rester, s’écria Francine. Et qui vous habillerait ?

— Où as-tu mis le gant que je t’ai rendu ce matin ?

— Le voici.