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— Vous me rendrez sans doute mes dix écus, remarquez bien que je ne parle pas d’intérêts, vous les remettrez à mon crédit chez maître Patrat, le notaire de Fougères qui, si vous le vouliez, ferait notre contrat, beau trésor. Adieu.

— Adieu, dit-elle en souriant et le saluant de la main.

— S’il vous faut de l’argent, lui cria-t-il, je vous en prêterai à cinq ! Oui, à cinq seulement. Ai-je dit cinq ? Elle était partie. — Ça m’a l’air d’être une bonne fille ; cependant, je changerai le secret de ma cheminée. Puis il prit un pain de douze livres, un jambon et rentra dans sa cachette.

Lorsque mademoiselle de Verneuil marcha dans la campagne, elle crut renaître, la fraîcheur du matin ranima son visage qui depuis quelques heures lui semblait frappé par une atmosphère brûlante. Elle essaya de trouver le sentier indiqué par l’avare ; mais, depuis le coucher de la lune, l’obscurité était devenue si forte, qu’elle fut forcée d’aller au hasard. Bientôt la crainte de tomber dans les précipices la prit au cœur, et lui sauva la vie ; car elle s’arrêta tout à coup en pressentant que la terre lui manquerait si elle faisait un pas de plus. Un vent plus frais qui caressait ses cheveux, le murmure des eaux, l’instinct, tout servit à lui indiquer qu’elle se trouvait au bout des rochers de Saint-Sulpice. Elle passa les bras autour d’un arbre, et attendit l’aurore en de vives anxiétés, car elle entendait un bruit d’armes, de chevaux et de voix humaines. Elle rendit grâces à la nuit qui la préservait du danger de tomber entre les mains des Chouans, si, comme le lui avait dit l’avare, ils entouraient Fougères.

Semblables à des feux nuitamment allumés pour un signal de liberté, quelques lueurs légèrement pourprées passèrent par-dessus les montagnes dont les bases conservèrent des teintes bleuâtres qui contrastèrent avec les nuages de rosée flottant sur les vallons. Bientôt un disque de rubis s’éleva lentement à l’horizon, les cieux le reconnurent ; les accidents du paysage, le clocher de Saint-Léonard, les rochers, les prés ensevelis dans l’ombre reparurent insensiblement, et les arbres situés sur les cimes se dessinèrent dans ses feux naissants. Le soleil se dégagea par un gracieux élan du milieu de ses rubans de feu, d’ocre et de saphir. Sa vive lumière s’harmonia par lignes égales, de colline en colline, déborda de vallons en vallons. Les ténèbres se dissipèrent, le jour accabla la nature. Une brise piquante frissonna dans l’air, les oiseaux chantèrent, la