Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/151

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Cours à ta maîtresse, lui dit brusquement le Chouan, elle est sauvée !

Il courut chercher lui-même le postillon, revint avec la rapidité de l’éclair, et, en passant de nouveau devant le corps de Merle, il aperçut le gant du Gars que la main morte serrait convulsivement encore.

— Oh ! oh ! s’écria-t-il, Pille-miche a fait là un traître coup ! Il n’est pas sûr de vivre de ses rentes.

Il arracha le gant et dit à mademoiselle de Verneuil, qui s’était déjà placée dans la calèche avec Francine : — Tenez, prenez ce gant. Si dans la route nos hommes vous attaquaient, criez : — Oh ! le Gars ! Montrez ce passeport-là, rien de mal ne vous arrivera. — Francine, dit-il en se tournant vers elle et lui saisissant fortement la main, nous sommes quittes avec cette femme-là, viens avec moi et que le diable l’emporte.

— Tu veux que je l’abandonne en ce moment ! répondit Francine d’une voix douloureuse.

Marche-à-terre se gratta l’oreille et le front ; puis, il leva la tête, et fit voir des yeux armés d’une expression féroce : — C’est juste, dit-il. Je te laisse à elle huit jours ; si passé ce terme, tu ne viens pas avec moi… Il n’acheva pas, mais il donna un violent coup du plat de sa main sur l’embouchure de sa carabine. Après avoir fait le geste d’ajuster sa maîtresse, il s’échappa sans vouloir entendre de réponse.

Aussitôt que le Chouan fut parti, une voix qui semblait sortir de l’étang cria sourdement : — Madame, madame.

Le postillon et les deux femmes tressaillirent d’horreur, car quelques cadavres avaient flotté jusque-là. Un Bleu caché derrière un arbre se montra.

— Laissez-moi monter sur la giberne de votre fourgon, ou je suis un homme mort. Le damné verre de cidre que La-clef-des-cœurs a voulu boire a coûté plus d’une pinte de sang ! s’il m’avait imité et fait sa ronde, les pauvres camarades ne seraient pas là, flottant comme des galiotes.

Pendant que ces événements se passaient au dehors, les chefs envoyés de la Vendée et ceux des Chouans délibéraient, le verre à la main, sous la présidence du marquis de Montauran. De fréquentes libations de vin de Bordeaux animèrent cette discussion, qui devint importante et grave à la fin du repas. Au dessert, au