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qu’offenser une noble famille, déjà profondément affligée par les écarts de cette jeune dame, dont la destinée a d’ailleurs été le sujet d’une autre Scène. Bientôt l’attitude de curiosité que prit l’assemblée devint impertinente et presque hostile. Quelques exclamations assez dures parvinrent à l’oreille de Francine, qui, après avoir dit un mot à sa maîtresse, se réfugia dans l’embrasure d’une croisée. Marie se leva, se tourna vers le groupe insolent, y jeta quelques regards pleins de dignité, de mépris même. Sa beauté, l’élégance de ses manières et sa fierté, changèrent tout à coup les dispositions de ses ennemis et lui valurent un murmure flatteur qui leur échappa. Deux ou trois hommes, dont l’extérieur trahissait les habitudes de politesse et de galanterie qui s’acquièrent dans la sphère élevée des cours, s’approchèrent de Marie avec bonne grâce ; sa décence leur imposa le respect, aucun d’eux n’osa lui adresser la parole, et loin d’être accusée par eux, ce fut elle qui sembla les juger.

Les chefs de cette guerre entreprise pour Dieu et le Roi ressemblaient bien peu aux portraits de fantaisie qu’elle s’était plu à tracer. Cette lutte, véritablement grande, se rétrécit et prit des proportions mesquines, quand elle vit, sauf deux ou trois figures vigoureuses, ces gentilshommes de province, tous dénués d’expression et de vie. Après avoir fait de la poésie, Marie tomba tout à coup dans le vrai. Ces physionomies paraissaient annoncer d’abord plutôt un besoin d’intrigue que l’amour de la gloire, l’intérêt mettait bien réellement à tous ces gentilshommes les armes à la main ; mais s’ils devenaient héroïques dans l’action, là ils se montraient à nu. La perte de ses illusions rendit mademoiselle de Verneuil injuste et l’empêcha de reconnaître le dévouement vrai qui rendit plusieurs de ces hommes si remarquables. Cependant la plupart d’entre eux montraient des manières communes. Si quelques têtes originales se faisaient distinguer entre les autres, elles étaient rapetissées par les formules et par l’étiquette de l’aristocratie. Si Marie accorda généralement de la finesse et de l’esprit à ces hommes, elle trouva chez eux une absence complète de cette simplicité, de ce grandiose auquel les triomphes et les hommes de la République l’habituaient. Cette assemblée nocturne, au milieu de ce vieux castel en ruine et sous ces ornements contournées assez bien assortis aux figures, la fit sourire, elle voulut y voir un tableau symbolique de la monarchie. Elle pensa bientôt avec délices qu’au moins le marquis jouait le premier rôle parmi ces gens dont le seul mérite, pour elle, était de se dévouer