Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 12.djvu/483

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Mongenod ?… s’écria Godefroid, le…

— Si vous voulez savoir la fin avant le commencement, reprit le vieillard en souriant, comment vous dire mon histoire.

Godefroid fit un mouvement qui promettait un silence absolu.

— Quand Mongenod s’assied, reprit le bonhomme Alain, je m’aperçois que ses souliers sont horriblement usés. Ses bas mouchetés avaient été si souvent blanchis, que j’eus de la peine à reconnaître qu’ils étaient en soie. Sa culotte en casimir de couleur abricot, sans aucune fraîcheur, annonçait un long usage, encore attesté par des changements de couleur à des places dangereuses, et les boucles, au lieu d’être en acier, me parurent être en fer commun ; celles des souliers étaient de même métal. Son gilet blanc à fleurs, devenu jaune à force d’être porté, comme sa chemise dont le jabot dormant était fripé, trahissait une horrible mais décente misère. Enfin l’aspect de la houppelande (on nommait ainsi une redingote ornée d’un seul collet en façon de manteau à la Crispin) acheva de me convaincre que mon ami était tombé dans le malheur. Cette houppelande, en drap couleur noisette, excessivement râpée, admirablement bien brossée, avait un col gras de pommade ou de poudre, et des boutons en métal blanc devenu rouge. Enfin, toute cette friperie était si honteuse que je n’osais plus y jeter les yeux. Le claque, une espèce de demi-cercle en feutre qu’on gardait alors sous le bras au lieu de le mettre sur la tête, avait dû voir plusieurs gouvernements. Néanmoins, mon ami venait sans doute de dépenser quelques sous pour sa coiffure chez un barbier, car il était rasé. Ses cheveux, ramassés par derrière, attachés par un peigne et poudrés avec luxe, sentaient la pommade. Je vis bien deux chaînes parallèles sur le devant de sa culotte, deux chaînes en acier terni, mais aucune apparence de montre dans les goussets. Nous étions en hiver, et Mongenod n’avait point de manteau, car quelques larges gouttes de neige fondue et tombées des toits, le long desquels il avait dû marcher, jaspaient le collet de sa houppelande. Lorsqu’il ôta de ses mains ses gants en poil de lapin et que je vis sa main droite, j’y reconnus les traces d’un travail quelconque, mais d’un travail pénible. Or, son père, avocat au grand conseil, lui avait laissé quelque fortune, cinq à six mille livres de rente. Je compris aussitôt que Mongenod venait me faire un emprunt. J’avais dans une cachette deux cents louis en or, une somme énorme pour ce temps-là, car elle valait je ne sais plus combien de