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Deux hommes sortaient de l’hôtel de la Chanterie, car si l’on a bien saisi le caractère de cette vieille maison, on y aura reconnu celui qui distingue les anciens hôtels. Manon, en venant avertir Godefroid le matin, lui avait demandé comment il avait passé sa première nuit à l’hôtel de La Chanterie, évidemment en riant. Godefroid suivit sans aucune idée d’espionnage les deux hommes qui le prirent pour un passant et qui, dans ces rues désertes, parlèrent assez haut pour qu’il pût entendre leur conversation.

Les deux inconnus retournaient par la rue Massillon, pour longer Notre-Dame et traverser le Parvis.

— Hé ! bien, tu vois, mon vieux, qu’il est assez facile de leur attraper des sous… Faut dire comme eux… voilà tout.

— Mais nous devons ?

— À qui ?

— À cette dame…

— Je voudrais bien me voir poursuivi par cette vieille carcasse, je la…

— Tu la… tu la payerais…

— Tu as raison, car en payant j’aurais plus tard encore plus qu’aujourd’hui…

— Ne vaudrait-il pas mieux nous conduire par leurs conseils et arriver à faire un bon établissement…

— Ah ! bah !

— Puisqu’ils nous trouveraient des bailleurs de fonds, a-t-elle dit.

— Il faudrait quitter aussi la vie…

— La vie m’ennuie, c’est pas être un homme que d’être toujours dans les vignes…

— Oui, mais l’abbé n’a-t-il pas lâché l’autre jour le père Marin, il lui a tout refusé.

— Ah ! bah ! le père Marin voulait faire des filouteries qui ne peuvent réussir qu’aux millionnaires.

En ce moment, ces deux hommes, dont la tenue indiquait des contre-maîtres d’ateliers, retournèrent brusquement sur leurs pas pour aller chercher le quartier de la place Maubert par le pont de l’Hôtel-Dieu ; Godefroid s’écarta, mais en se voyant suivis de si près par lui, tous deux échangèrent un regard de défiance et leur visage exprima le regret d’avoir parlé.

Godefroid fut d’autant plus intéressé par cette conversation