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péens, les coutumes internationales. Il avait étudié les hommes et les choses dans cinq capitales : Londres, Berlin, Vienne, Pétersbourg et Constantinople. Nul mieux que lui ne connaissait les précédents de la Chambre. Il avait fait pendant cinq ans les Chambres pour une feuille quotidienne. Il improvisait, il parlait admirablement et pouvait parler long-temps de cette voix gracieuse, profonde qui nous avait frappés dans l’âme. Il nous prouva par le récit de sa vie qu’il était grand orateur, orateur concis, grave et néanmoins d’une éloquence pénétrante : il tenait de Berryer pour la chaleur, pour les mouvements sympathiques aux masses ; il tenait de monsieur Thiers pour la finesse, pour l’habileté ; mais il eût été moins diffus, moins embarrassé de conclure : il comptait passer brusquement au pouvoir sans s’être engagé par des doctrines d’abord nécessaires à un homme d’opposition, et qui plus tard gênent l’homme d’État.

Marcas avait appris tout ce qu’un véritable homme d’État doit savoir ; aussi son étonnement fut-il excessif quand il eut occasion de vérifier la profonde ignorance des gens parvenus en France aux affaires publiques. Si chez lui la vocation lui avait conseillé l’étude, la nature s’était montrée prodigue, elle lui avait accordé tout ce qui ne peut s’acquérir : une pénétration vive, l’empire sur soi-même, la dextérité de l’esprit, la rapidité du jugement, la décision, et, ce qui est le génie de ces hommes, la fertilité des moyens.

Quand il se crut suffisamment armé, Marcas trouva la France en proie aux divisions intestines nées du triomphe de la branche d’Orléans sur la branche aînée. Évidemment le terrain des luttes politiques est changé. La guerre civile ne peut plus durer longtemps, elle ne se fera plus dans les provinces. En France, il n’y aura plus qu’un combat de courte durée, au siége même du gouvernement, et qui terminera la guerre morale que des intelligences d’élite auront faite auparavant. Cet état de choses durera tant que la France aura son singulier gouvernement, qui n’a d’analogie avec celui d’aucun pays, car il n’y a pas plus de parité entre le gouvernement anglais et le nôtre qu’entre les deux territoires. La place de Marcas était donc dans la presse politique. Pauvre et ne pouvant se faire élire, il devait se manifester subitement. Il se résolut au sacrifice le plus coûteux pour un homme supérieur, à se subordonner à quelque député riche et ambitieux pour lequel il travailla. Nouveau Bonaparte, il chercha son Barras ; Colbert espé-