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ces cloisons faites en lattes et enduites en plâtre, si communes dans les maisons de Paris.

Notre chambre, haute de sept pieds, était tendue d’un méchant petit papier bleu semé de bouquets. Le carreau, mis en couleur, ignorait le lustre qu’y donnent les frotteurs. Nous n’avions devant nos lits qu’un maigre tapis en lisière. La cheminée débouchait trop promptement sur le toit, et fumait tant que nous fûmes forcés de faire mettre une gueule de loup à nos frais. Nos lits étaient des couchettes en bois peint, semblables à celles des collèges. Il n’y avait jamais sur la cheminée que deux chandeliers de cuivre, avec ou sans chandelles, nos deux pipes, du tabac éparpillé ou en sac ; puis, les petits tas de cendre que déposaient les visiteurs ou que nous amassions nous-mêmes en fumant des cigares. Deux rideaux de calicot glissaient sur des tringles à la fenêtre, de chaque côté de laquelle pendaient deux petits corps de bibliothèque en bois de merisier que connaissent tous ceux qui ont flâné dans le quartier latin, et où nous mettions le peu de livres nécessaires à nos études. L’encre était toujours dans l’encrier comme de la lave figée dans le cratère d’un volcan. Tout encrier ne peut-il pas, aujourd’hui, devenir un Vésuve ? Les plumes tortillées servaient à nettoyer la cheminée de nos pipes. Contrairement aux lois du crédit, le papier était chez nous encore plus rare que l’argent.

Comment espère-t-on faire rester les jeunes gens dans de pareils hôtels garnis ? Aussi les étudiants étudient-ils dans les cafés, au théâtre, dans les allées du Luxembourg, chez les grisettes, partout, même à l’École de Droit, excepté dans leur horrible chambre, horrible s’il s’agit d’étudier, charmante dès qu’on y babille et qu’on y fume. Mettez une nappe sur cette table, voyez-y le dîner improvisé qu’envoie le meilleur restaurateur du quartier, quatre couverts et deux filles, faites lithographier cette vue d’intérieur, une dévote ne peut s’empêcher d’y sourire.

Nous ne pensions qu’à nous amuser. La raison de nos désordres était une raison prise dans ce que la politique actuelle a de plus sérieux. Juste et moi, nous n’apercevions aucune place à prendre dans les deux professions que nos parents nous forçaient d’embrasser. Il y a cent avocats, cent médecins pour un. La foule obstrue ces deux voies, qui semblent mener à la fortune et qui sont deux arènes : on s’y tue, on s’y combat, non point à l’arme blanche ni à l’arme à feu, mais par l’intrigue et la calomnie, par d’horribles