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dire à sa femme : — Je crains que Laurence ne nous taille encore des croupières !

— Quelle espèce de chasse avez-vous faite aujourd’hui ? demanda madame d’Hauteserre à Laurence.

— Ah ! vous apprendrez quelque jour le mauvais coup auquel vos enfants ont participé, répondit-elle en riant.

Quoique dites par plaisanterie, ces paroles firent frémir la vieille dame. Catherine annonça le dîner. Laurence donna le bras à monsieur d’Hauteserre, et sourit de la malice qu’elle faisait à ses cousins, en forçant l’un d’eux à offrir son bras à la vieille dame, transformée en oracle par leur convention.

Le marquis de Simeuse conduisit madame d’Hauteserre à table. La situation devint alors si solennelle, que, le Benedicite fini, Laurence et ses deux cousins éprouvèrent au cœur des palpitations violentes. Madame d’Hauteserre, qui servait, fut frappée de l’anxiété peinte sur le visage des deux Simeuse et de l’altération que présentait la figure moutonne de Laurence.

— Mais il s’est passé quelque chose d’extraordinaire ? s’écria-t-elle en les regardant tous.

— À qui parlez-vous ? dit Laurence.

— À vous tous, répondit la vieille dame.

— Quant à moi, ma mère, dit Robert, j’ai une faim de loup.

Madame d’Hauteserre, toujours troublée, offrit au marquis de Simeuse une assiette qu’elle destinait au cadet.

— Je suis comme votre mère, je me trompe toujours, même malgré vos cravates. Je croyais servir votre frère, lui dit-elle.

— Vous le servez mieux que vous ne pensez, dit le cadet en pâlissant. Le voilà comte de Cinq-Cygne.

Ce pauvre enfant si gai devint triste pour toujours mais il trouva la force de regarder Laurence en souriant, et de comprimer ses regrets mortels. En un instant, l’amant s’abîma dans le frère.

— Comment ! La comtesse aurait fait son choix ? s’écria la vieille dame.

— Non, dit Laurence, nous avons laissé agir le sort, et vous en étiez l’instrument.

Elle raconta la convention stipulée le matin. L’aîné des Simeuse, qui voyait s’augmenter la pâleur du visage chez son frère, éprouvait de moment en moment le besoin de s’écrier : — Épouse-la, j’irai mourir, moi ! Au moment où l’on servait le dessert, les habitants