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environnant celle de Troyes des estafettes pour faire chercher les traces des cinq hommes masqués et du sénateur, Lechesneau commença par établir les bases de son instruction. Ce travail se fit rapidement avec deux têtes judiciaires aussi fortes que celles de Grévin et du juge de paix. Le juge de paix, nommé Pigoult, ancien premier clerc de l’étude où Malin et Grévin avaient étudié la chicane à Paris, fut nommé trois mois après président du tribunal d’Arcis. En ce qui concernait Michu, Lechesneau connaissait les menaces précédemment faites par cet homme à monsieur Marion, et le guet-apens auquel le sénateur avait échappé dans son parc. Ces deux faits, dont l’un était la conséquence de l’autre, devaient être les prémisses de l’attentat actuel, et désignaient d’autant mieux l’ancien garde comme le chef des malfaiteurs, que Grévin, sa femme, Violette, et madame Marion déclaraient avoir reconnu dans les cinq individus masqués un homme entièrement semblable à Michu. La couleur des cheveux, celle des favoris, la taille trapue de l’individu rendaient son déguisement à peu près inutile. Quel autre que Michu, d’ailleurs, aurait pu ouvrir la grille de Cinq-Cygne avec une clef ? Le garde et sa femme, revenus d’Arcis et interrogés, déposèrent avoir fermé les deux grilles à la clef. Les grilles, examinées par le juge de paix, assisté du garde champêtre et de son greffier, n’avaient offert aucune trace d’effraction.

— Quand nous l’avons mis à la porte, il aura gardé des doubles clefs du château, dit Grévin. Mais il doit avoir médité quelque coup désespéré, car il a vendu ses biens en vingt jours, et en a touché le prix dans mon Étude avant-hier.

— Ils lui auront tout mis sur le dos, s’écria Lechesneau frappé de cette circonstance. Il s’est montré leur âme damnée.

Qui pouvait, mieux que messieurs de Simeuse et d’Hauteserre, connaître les êtres du château ? Aucun des assaillants ne s’était trompé dans ses recherches, ils étaient allés partout avec une certitude qui prouvait que la troupe savait bien ce qu’elle voulait, et savait surtout où l’aller prendre. Aucune des armoires restées ouvertes n’avait été forcée. Ainsi les délinquants en avaient les clefs ; et, chose étrange ! ils ne s’étaient pas permis le moindre détournement. Il ne s’agissait donc pas d’un vol. Enfin, Violette, après avoir reconnu les chevaux du château de Cinq-Cygne, avait trouvé la comtesse en embuscade devant le pavillon du garde. De cet ensemble de faits et de dépositions il résultait, pour la justice la