Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 12.djvu/350

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

juridiction exceptionnelle. Grévin dépêcha donc le sous-lieutenant au directeur du jury de Troyes. L’Égyptien y courut à bride abattue, et revint à Gondreville, ramenant en poste ce magistrat quasi souverain.

Le directeur du jury de Troyes était un ancien lieutenant de Bailliage, ancien secrétaire appointé d’un des comités de la Convention, ami de Malin, et placé par lui. Ce magistrat, nommé Lechesneau, vrai praticien de la vieille justice criminelle, avait, ainsi que Grévin, beaucoup aidé Malin dans ses travaux judiciaires à la Convention. Aussi Malin le recommanda-t-il à Cambacérès, qui le nomma procureur général en Italie. Malheureusement pour sa carrière, Lechesneau eut des liaisons avec une grande dame de Turin, et Napoléon fut obligé de le destituer pour le soustraire à un procès correctionnel intenté par le mari à propos de la soustraction d’un enfant adultérin. Lechesneau, devant tout à Malin, et devinant l’importance d’un pareil attentat, avait amené le capitaine de la gendarmerie et un piquet de douze hommes.

Avant de partir, il s’était entendu naturellement avec le préfet, qui, pris par la nuit, ne put se servir du télégraphe. On expédia sur Paris une estafette afin de prévenir le ministre de la Police Générale, le Grand-Juge et l’Empereur de ce crime inouï. Lechesneau trouva dans le salon de Gondreville mesdames Marion et Grévin, Violette, le valet de chambre du sénateur, et le juge de paix assisté de son greffier. Déjà des perquisitions avaient été pratiquées dans le château. Le juge de paix, aidé par Grévin, recueillait soigneusement les premiers éléments de l’instruction. Le magistrat fut tout d’abord frappé des combinaisons profondes que révélaient et le choix du jour et celui de l’heure. L’heure empêchait de chercher immédiatement des indices et des preuves.

Dans cette saison, à cinq heures et demie, moment où Violette avait pu poursuivre les délinquants, il faisait presque nuit ; et, pour les malfaiteurs, la nuit est souvent l’impunité. Choisir un jour de réjouissances où tout le monde irait voir la mascarade d’Arcis, et où le sénateur devait se trouver seul chez lui, n’était-ce pas éviter les témoins ?

— Rendons justice à la perspicacité des agents de la Préfecture de Police, dit Lechesneau. Ils n’ont cessé de nous mettre en garde contre les nobles de Cinq-Cygne, et nous ont dit que tôt ou tard ils feraient quelque mauvais coup.

Sûr de l’activité du préfet de l’Aube, qui envoya dans toutes les préfectures