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plans les plus extraordinaires que le génie humain ait inventés, et par lequel l’Empereur eût payé son élection à la France avec les ruines de la puissance anglaise. En ce moment, le camp de Boulogne était levé. Napoléon, dont les soldats étaient inférieurs en nombre comme toujours, allait livrer bataille à l’Europe sur des champs où il n’avait pas encore paru. Le monde entier se préoccupait du dénouement de cette campagne.

— Oh ! cette fois il succombera, dit Robert en achevant la lecture du journal.

— Il a sur les bras toutes les forces de l’Autriche et de la Russie, dit Marie-Paul.

— Il n’a jamais manœuvré en Allemagne, ajouta Paul-Marie.

— De qui parlez-vous ? demanda Laurence.

— De l’Empereur, répondirent les trois gentilshommes. Laurence jeta sur ses deux amants un regard de dédain qui les humilia, mais qui ravit Adrien. Le dédaigné fit un geste d’admiration, et il eut un regard d’orgueil où il disait assez qu’il ne pensait plus, lui ! qu’à Laurence.

— Vous le voyez ? l’amour lui a fait oublier sa haine, dit l’abbé Goujet à voix basse.

Ce fut le premier, le dernier, l’unique reproche que les deux frères encoururent ; mais, en ce moment, ils se trouvèrent inférieurs en amour à leur cousine qui, deux mois après, n’apprit l’étonnant triomphe d’Austerlitz que par la discussion que le bonhomme d’Hauteserre eut avec ses deux fils. Fidèle à son plan, le vieillard voulait que ses enfants demandassent à servir ; ils seraient sans doute employés dans leurs grades, et pourraient encore faire une belle fortune militaire. Le parti du royalisme pur était devenu le plus fort à Cinq-Cygne. Les quatre gentilshommes et Laurence se moquèrent du prudent vieillard, qui semblait flairer les malheurs dans l’avenir. La prudence est peut-être moins une vertu que l’exercice d’un sens de l’esprit, s’il est possible d’accoupler ces deux mots ; mais un jour viendra sans doute où les physiologistes et les philosophes admettront que les sens sont en quelque sorte la gaîne d’une vive et pénétrante action qui procède de l’esprit.

Après la conclusion de la paix entre la France et l’Autriche, vers la fin du mois de février 1806, un parent, qui, lors de la demande en radiation, s’était employé pour messieurs de Simeuse, et devait plus tard leur donner de grandes preuves d’attachement, le ci-de-