Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 12.djvu/313

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de chambre, le gentilhomme et sa femme, l’abbé Goujet et sa sœur groupés autour du feu, tranquilles en apparence.

— Si l’on tenait Michu, s’était dit Laurence, on l’aurait amené. J’ai le chagrin de n’avoir pas été maîtresse de moi-même, d’avoir jeté quelque clarté dans les soupçons de ces infâmes ; mais tout peut se réparer. — Serons-nous longtemps vos prisonniers ? demanda-t-elle aux deux agents d’un air railleur et dégagé.

— Comment peut-elle savoir quelque chose de notre inquiétude sur Michu ? Personne du dehors n’est entré dans le château, elle nous gouaille, se dirent les deux espions par un regard.

— Nous ne vous importunerons pas longtemps encore, répondit Corentin ; dans trois heures d’ici nous vous offrirons nos regrets d’avoir troublé votre solitude.

Personne ne répondit. Ce silence du mépris redoubla la rage intérieure de Corentin, sur le compte de qui Laurence et le curé, les deux intelligences de ce petit monde, s’étaient édifiés. Gothard et Catherine mirent le couvert auprès du feu pour le déjeuner, auquel prirent part le curé et sa sœur. Les maîtres ni les domestiques ne firent aucune attention aux deux espions qui se promenaient dans le jardin, dans la cour, sur le chemin, et qui revenaient de temps en temps au salon.

À deux heures et demie, le lieutenant revint.

— J’ai trouvé le brigadier, dit-il à Corentin, étendu dans le chemin qui mène du pavillon dit de Cinq-Cygne à la ferme de Bellache, sans aucune blessure autre qu’une horrible contusion à la tête, et vraisemblablement produite par sa chute. Il a été, dit-il, enlevé de dessus son cheval si rapidement, et jeté si violemment en arrière, qu’il ne peut expliquer de quelle manière cela s’est fait ; ses pieds ont quitté les étriers, sans cela il était mort, son cheval effrayé l’aurait traîné à travers champs nous : l’avons confié à Michu et à Violette…

— Comment ! Michu se trouve à son pavillon ? dit Corentin qui regarda Laurence.

La comtesse souriait d’un œil fin, en femme qui prenait sa revanche.

— Je viens de le voir en train d’achever avec Violette un marché qu’ils ont commencé hier au soir, reprit le lieutenant. Violette et Michu m’ont paru gris ; mais il n’y a pas de quoi s’en étonner, ils ont bu pendant toute la nuit, et ne sont pas encore d’accord.