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— Du linge aux pieds du cheval ?… Je t’embrasse ! dit le régisseur en serrant Gothard dans ses bras.

Michu laissa la jument aller auprès de sa maîtresse et prit les gants, le chapeau, la cravache.

— Tu as de l’esprit, tu vas me comprendre, reprit-il. Force ton cheval à grimper aussi sur ce chemin, monte-le à poil, entraîne après toi les gendarmes en te sauvant à fond de train à travers champs vers la ferme, et ramasse-moi tout ce piquet qui s’étale, ajouta-t-il en achevant sa pensée par un geste qui indiquait la route à suivre. — Toi, ma fille, dit-il à Catherine, il nous vient d’autres gendarmes par le chemin de Cinq-Cygne à Gondreville, élance-toi dans une direction contraire à celle que va suivre Gothard, et ramasse-les du château vers la forêt. Enfin, faites en sorte que nous ne soyons point inquiétés dans le chemin creux.

Catherine et l’admirable enfant qui devait donner dans cette affaire tant de preuves d’intelligence exécutèrent leur manœuvre de manière à faire croire à chacune des lignes de gendarmes que leur gibier se sauvait. La lueur trompeuse de la lune ne permettait de distinguer ni la taille, ni les vêtements, ni le sexe, ni le nombre de ceux qu’on poursuivait. L’on courut après eux en vertu de ce faux axiome : Il faut arrêter ceux qui se sauvent ! dont la niaiserie en haute police venait d’être énergiquement démontrée par Corentin au brigadier. Michu, qui avait compté sur l’instinct des gendarmes, put atteindre la forêt quelque temps après la jeune comtesse que Marthe avait guidée à l’endroit indiqué.

— Cours au pavillon, dit-il à Marthe. La forêt doit être gardée par les Parisiens, il est dangereux de rester ici. Nous aurons sans doute besoin de toute notre liberté.

Michu délia son cheval, et pria la comtesse de le suivre.

— Je n’irai pas plus loin, dit Laurence, sans que vous me donniez un gage de l’intérêt que vous me portez, car enfin, vous êtes Michu.

— Mademoiselle, répondit-il d’une voix douce, mon rôle va vous être expliqué en deux mots. Je suis, à l’insu de messieurs de Simeuse, le gardien de leur fortune. J’ai reçu à cet égard des instructions de défunt leur père et de leur chère mère, ma protectrice. Aussi ai-je joué le rôle d’un Jacobin enragé, pour rendre service à mes jeunes maîtres ; malheureusement, j’ai commencé mon jeu trop tard, et n’ai pu sauver les anciens ! Ici, la voix de