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dans sa démarche, dans son air ni dans sa physionomie, n’indiquait un méchant homme. Il imita l’immobilité des religieuses, et promena lentement ses regards sur la chambre où il se trouvait.

Deux nattes de paille, posées sur des planches, servaient de lit aux deux religieuses. Une seule table était au milieu de la chambre, et il y avait dessus un chandelier de cuivre, quelques assiettes, trois couteaux et un pain rond. Le feu de la cheminée était modeste. Quelques morceaux de bois, entassés dans un coin, attestaient d’ailleurs la pauvreté des deux recluses. Les murs, enduits d’une couche de peinture très-ancienne, prouvaient le mauvais état de la toiture, où des taches, semblables à des filets bruns, indiquaient les infiltrations des eaux pluviales. Une relique, sans doute sauvée du pillage de l’abbaye de Chelles, ornait le manteau de la cheminée. Trois chaises, deux coffres et une mauvaise commode complétaient l’ameublement de cette pièce. Une porte pratiquée auprès de la cheminée faisait conjecturer qu’il existait une seconde chambre.

L’inventaire de cette cellule fut bientôt fait par le personnage qui s’était introduit sous de si terribles auspices au sein de ce ménage. Un sentiment de commisération se peignit sur sa figure, et il jeta un regard de bienveillance sur les deux filles, au moins aussi embarrassé qu’elles. L’étrange silence dans lequel ils demeurèrent tous trois dura peu, car l’inconnu finit par deviner la faiblesse morale et l’inexpérience des deux pauvres créatures, et il leur dit alors d’une voix qu’il essaya d’adoucir : — Je ne viens point ici en ennemi, citoyenne… Il s’arrêta et se reprit pour dire : Mes sœurs, s’il vous arrivait quelque malheur, croyez que je n’y aurais pas contribué. J’ai une grâce à réclamer de vous…

Elles gardèrent toujours le silence.

— Si je vous importunais, si… je vous gênais, parlez librement… je me retirerais ; mais sachez que je vous suis tout dévoué ; que, s’il est quelque bon office que je puisse vous rendre, vous pouvez m’employer sans crainte, et que moi seul, peut-être, suis au-dessus de la loi, puisqu’il n’y a plus de roi…

Il y avait un tel accent de vérité dans ces paroles, que la sœur Agathe, celle des deux religieuses qui appartenait à la maison de Langeais, et dont les manières semblaient annoncer qu’elle avait autrefois connu l’éclat des fêtes et respiré l’air de la cour, s’empressa d’indiquer une des chaises comme pour prier leur hôte de s’asseoir. L’inconnu manifesta une sorte de joie mêlée de tristesse