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comme il est, reprit Léon. Aussi, cousin, comptons-nous te présenter chez une duchesse de la rue Saint-Georges, où tu verras l’aristocratie des lorettes et où tu peux gagner ton procès. Or, il est impossible de t’y montrer avec tes cheveux pyrénéens, tu as l’air d’un hérisson, nous allons te mener ici près, place de la Bourse, chez Marius, un autre de nos acteurs…

— Quel est ce nouvel acteur ?

— Voilà l’anecdote, répondit Bixiou. En 1800, un Toulousain nommé Cabot, jeune perruquier dévoré d’ambition, vint à Paris, et y leva boutique (je me sers de votre argot). Cet homme de génie (il jouit de vingt-quatre mille francs de rentes à Libourne où il s’est retiré) comprit que ce nom vulgaire et ignoble n’atteindrait jamais à la célébrité. M. de Parny, qu’il coiffait, lui donna le nom de Marius, infiniment supérieur aux prénoms d’Armand et d’Hippolyte, sous lesquels se cachent des noms patronymiques attaqués du mal-Cabot. Tous les successeurs de Cabot se sont appelés Marius. Le Marius actuel est Marius V, il se nomme Mougin. Il en est ainsi dans beaucoup de commerces, pour l’eau de Botot, pour l’encre de la Petite-Vertu. À Paris, un nom devient une propriété commerciale, et finit par constituer une sorte de noblesse d’enseigne. Marius, qui d’ailleurs a des élèves, a créé, dit-il, la première école de coiffure du monde.

— J’ai déjà vu, en traversant la France, dit Gazonal, beaucoup d’enseignes où se lisent ces mots : UN TEL, élève de Marius.

— Ces élèves doivent se laver les mains après chaque frisure faite, répondit Bixiou ; mais Marius ne les admet pas indifféremment, ils doivent avoir la main jolie et ne pas être laids. Les plus remarquables, comme élocution, comme tournure, vont coiffer en ville, ils reviennent très fatigués. Marius ne se déplace que pour les femmes titrées, il a cabriolet et groom.

— Mais ce n’est après tout qu’un merlan ! s’écria Gazonal indigné.

— Merlan ! reprit Bixiou, songez qu’il est capitaine dans la garde nationale et qu’il est décoré pour avoir sauté le premier dans une barricade en 1832.

— Prends garde, ce n’est ni un coiffeur, ni un perruquier, c’est un directeur de salons de coiffure, dit Léon en montant un escalier à balustres en cristal, à rampes d’acajou, et dont les marches étaient couvertes d’un tapis somptueux.