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par la rue du Martroi, la troisième voiture qui survenait occasionnait alors un embarras. Les passants se sauvaient effrayés en cherchant une borne qui pût les préserver de l’atteinte des anciens moyeux, dont la longueur était si démesurée qu’il a fallu des lois pour les rogner. Quand le panier à salade arriva, l’arcade était barrée par une de ces marchandes des quatre-saisons dont le type est d’autant plus curieux qu’il en existe encore des exemplaires dans Paris, malgré le nombre croissant des boutiques de fruitières. C’était si bien la marchande des rues, qu’un sergent de ville, si l’institution en avait été créée alors, l’eût laissée circuler sans lui faire exhiber son permis, malgré sa physionomie sinistre qui suait le crime. La tête, couverte d’un méchant mouchoir de coton à carreaux en loques, était hérissée de mèches rebelles qui montraient des cheveux semblables à des poils de sanglier. Le cou rouge et ridé faisait horreur, et le fichu ne déguisait pas entièrement une peau tannée par le soleil, par la poussière et par la boue. La robe était comme une tapisserie. Les souliers grimaçaient à faire croire qu’ils se moquaient de la figure aussi trouée que la robe. Et quelle pièce d’estomac !… un emplâtre eût été moins sale. À dix pas, cette guenille ambulante et fétide devait affecter l’odorat des gens délicats. Les mains avaient fait cent moissons ! Ou cette femme revenait d’un sabbat allemand, ou elle sortait d’un dépôt de mendicité. Mais quels regards !… quelle audacieuse intelligence, quelle vie contenue quand les rayons magnétiques de ses yeux et ceux de Jacques Collin se rejoignirent pour échanger une idée !

— Range-toi donc, vieil hospice à vermine !… cria le postillon d’une voix rauque.

— Ne vas-tu pas m’écraser, hussard de la guillotine, répondit-elle, ta marchandise ne vaut pas la mienne.

Et en essayant de se serrer entre deux bornes pour livrer passage, la marchande embarrassa la voie pendant le temps nécessaire à l’accomplissement de son projet.

— Ô Asie ! se dit Jacques Collin qui reconnut sur-le-champ sa complice, tout va bien.

Le postillon échangeait toujours des aménités avec Asie et les voitures s’accumulaient dans la rue du Martroi.

Ahé !… pecairé fermati. Souni là. Vedrem !… s’écria la vieille Asie avec ces intonations illinoises particulières aux marchandes des rues qui dénaturent si bien leurs paroles qu’elles de-