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bien pour se rendre à une répétition de l’Opéra-Comique, et se trouvait sans savoir comment, à Dieppe, à Baden, à Saint-Germain ; il donnait à dîner, il menait la vie puissante et dépensière des auteurs, des journalistes et des artistes : il levait très-bien ses droits d’auteur dans toutes les coulisses de Paris, il faisait partie de notre société. Finot, Lousteau, du Tillet, Desroches, Bixiou, Blondet, Couture, des Lupeaulx le supportaient malgré son air pédant et sa lourde attitude de bureaucrate. Mais une fois mariée, Tullia rendit du Bruel esclave. Que voulez-vous, le pauvre diable aimait Tullia. Tullia venait, disait-elle, de quitter le théâtre pour être toute à lui, pour devenir une bonne et charmante femme. Tullia sut se faire adopter par les femmes les plus jansénistes de la famille du Bruel. Sans qu’on eût jamais compris ses intentions d’abord, elle allait s’ennuyer chez madame de Bonvalot ; elle faisait de riches cadeaux à la vieille et avare madame de Chissé, sa grand’tante ; elle passa chez cette dame un été, ne manquant pas une seule messe. La danseuse se confessa, reçut l’absolution, communia, mais à la campagne, sous les yeux de la tante. Elle nous disait l’hiver suivant : — « Comprenez-vous ? j’aurai de vraies tantes ! » Elle était si heureuse de devenir une bourgeoise, si heureuse d’abdiquer son indépendance, qu’elle trouva les moyens qui pouvaient la mener au but. Elle flattait ces vieilles gens. Elle a été tous les jours, à pied, tenir compagnie pendant deux heures à la mère de du Bruel pendant une maladie. Du Bruel était étourdi du déploiement de cette ruse à la Maintenon, et il admirait cette femme sans faire un seul retour sur lui-même, il était déjà si bien ficelé qu’il ne sentait plus la ficelle. Claudine fit comprendre à du Bruel que le système élastique du gouvernement bourgeois, de la royauté bourgeoise, de la cour bourgeoise était le seul qui pût permettre à une Tullia, devenue madame du Bruel, de faire partie du monde où elle eut le bon sens de ne pas vouloir pénétrer. Elle se contenta d’être reçue chez mesdames de Bonvalot, de Chissé, chez madame du Bruel où elle posait, sans jamais se démentir, en femme sage, simple, vertueuse. Elle fut, trois ans plus tard, reçue chez leurs amies. — « Je ne peux pourtant pas me persuader que madame du Bruel, la jeune, ait montré ses jambes et le reste à tout Paris, à la lueur de cent becs de lumières ! » disait naïvement madame Anselme Popinot. Juillet 1830 ressemble, sous ce rapport, à l’Empire de Napoléon qui reçut à sa cour une ancienne femme de chambre,