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La nature se plaît à ces jeux-là. On voit souvent, dans les familles, une sœur d’une beauté surprenante et dont les traits offrent, chez le frère, une laideur achevée, quoique tous deux se ressemblent. Clotilde avait sur sa bouche, excessivement rentrée, une expression de dédain stéréotypée. Aussi ses lèvres dénonçaient-elles plus que tout autre trait de son visage les secrets mouvements de son cœur, car l’affection leur imprimait une expression charmante, et d’autant plus remarquable que ses joues trop brunes pour rougir, que ses yeux noirs toujours durs ne disaient jamais rien. Malgré tant de désavantages, malgré sa prestance de planche, elle tenait de son éducation et de sa race un air de grandeur, une contenance fière, enfin tout ce qu’on a nommé si justement le je ne sais quoi, peut-être dû à la franchise de son costume, et qui signalait en elle une fille de bonne maison. Elle tirait parti de ses cheveux, dont la force, le nombre et la longueur pouvaient passer pour une beauté. Sa voix, qu’elle avait cultivée, jetait des charmes. Elle chantait à ravir. Clotilde était bien la jeune personne dont on dit : Elle a de beaux yeux, ou — Elle a un charmant caractère ! À quelqu’un qui lui disait à l’anglaise : Votre Grâce, elle répondit : Appelez-moi Votre Minceur.

— Pourquoi n’aimerait-on pas ma pauvre Clotilde ? répondit la duchesse à la marquise. Savez-vous ce qu’elle me disait hier ? « Si je suis aimée par ambition, je me charge de me faire aimer pour moi-même ! » Elle est spirituelle et ambitieuse, il y a des hommes à qui ces deux qualités plaisent. Quant à lui, ma chère, il est beau comme un rêve ; et s’il peut racheter la terre de Rubempré, le roi lui rendra, par égard pour nous, le titre de marquis… Après tout, sa mère est la dernière Rubempré…

— Pauvre garçon, où prendra-t-il un million ? dit la marquise.

— Ceci n’est pas notre affaire, reprit la duchesse ; mais, à coup sûr, il est incapable de le voler… Et, d’ailleurs, nous ne donnerions pas Clotilde à un intrigant ni à un malhonnête homme, fût-il beau, fût-il poète et jeune comme monsieur de Rubempré.

— Vous venez tard, dit Clotilde en souriant avec une grâce infinie à Lucien.

— Oui, j’ai dîné en ville.

— Vous allez beaucoup dans le monde depuis quelques jours, dit-elle en cachant sa jalousie et ses inquiétudes sous un sourire.

— Dans le monde ?… reprit Lucien, non, j’ai seulement, par