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digènes du bois de Boulogne ? qui paye tes dettes de jeu ? qui veille à tes plaisirs ? qui t’a donné des bottes, à toi qui n’avais pas de souliers ?

RAOUL.

Toi, mon ami, mon père, ma famille !

VAUTRIN.

Bien, bien, merci ! Oh ! tu me récompenses de tous mes sacrifices. Mais, hélas ! une fois riche, une fois grand d’Espagne, une fois que tu feras partie de ce monde, tu m’oublieras : en changeant d’air, on change d’idées tu me mépriseras, et… tu auras raison.

RAOUL.

Est-ce un génie sorti des Mille et une Nuits ? Je me demande si j’existe. Mais, mon ami, mon protecteur, il me faut une famille.

VAUTRIN.

Eh ! on te la fabrique en ce moment, ta famille ! Le Louvre ne contiendrait pas les portraits de tes aïeux, ils encombrent les quais.

RAOUL.

Tu rallumes toutes mes espérances.

VAUTRIN.

Tu veux Inès ?

RAOUL.

Par tous les moyens possibles.

VAUTRIN.

Tu ne recules devant rien ? la magie et l’enfer ne t’effrayent pas ?

RAOUL.

Va pour l’enfer, s’il me donne le paradis.

VAUTRIN.

L’enfer ! c’est le monde des bagues et des forçats décorés par la justice et par la gendarmerie de marques et de menottes, conduits où ils vont par la misère, et qui ne peuvent jamais en sortir. Le paradis, c’est un bel hôtel, de riches voitures, des femmes délicieuses, des honneurs. Dans ce monde, il y a deux mondes ; je te jette dans le plus beau, je reste dans le plus laid ; et si tu ne m’oublies pas, je te tiens quitte.

RAOUL.

Vous me donnez le frisson, et vous venez de faire passer devant moi le délire.

VAUTRIN, lui frappant sur l’épaule.

Tu es un enfant ! (À part.) Ne lui en ai-je pas trop dit ? (Il sonne.)