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RAOUL.

Mais en ai-je le droit ? sans toi vivrais-je ?

VAUTRIN.

Tais-toi. Tu n’avais rien, je t’ai fait riche. Tu ne savais rien, je t’ai donné une belle éducation. Oh ! je ne suis pas encore quitte envers toi. Un père… tous les pères donnent la vie à leurs enfants, moi, je te dois le bonheur… Mais est-ce bien là le motif de la mélancolie ? n’y a-t—il pas là… dans ce coffret… (Il montre un coffret.) certain portrait et certaines lettres cachées. et que nous lisons avec des… Ah !…

RAOUL.

Vous avez…

VAUTRIN.

Oui, j’ai… Tu es donc touché à fond ?

RAOUL.

À fond.

VAUTRIN.

Imbécile ! L’amour vit de tromperie, et l’amitié de confiance. — Enfin, sois heureux à ta manière.

RAOUL.

Eh ! le puis-je ? Je me ferai soldat, et… partout où grondera le canon, je saurai conquérir un nom glorieux, ou mourir.

VAUTRIN.

Hein !… de quoi ? qu’est-ce que cet enfantillage ?

RAOUL.

Tu t’es fait trop vieux pour pouvoir comprendre, et ce n’est pas la peine de te le dire.

VAUTRIN.

Je te le dirai donc. Tu aimes Inès de Christoval, de son chef princesse d’Arjos, fille d’un duc banni par le roi Ferdinand, une Andalouse qui t’aime et qui me plaît, non comme femme. mais comme un adorable coffre-fort qui a les plus beaux yeux du monde, une dot bien tournée, la plus délicieuse caisse, svelte, élégante comme une corvette noire à voiles blanches, apportant les galions d’Amérique si impatiemment attendus et versant toutes les joies de la vie, absolument comme la Fortune peinte au-dessus des bureaux de loterie : je t’approuve, tu as tort de l’aimer, l’amour fera faire mille sottises… mais je suis là.

RAOUL.

Ne me la flétris pas de tes horribles sarcasmes.