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Si donc je suis resté sous ce toit où je n’aurais jamais dû venir, c’est que j’ai choisi dans Pauline la seule femme avec laquelle il me soit possible de finir mes jours. Allons, Gertrude, ne vous brisez pas contre cet arrêt du ciel. Ne tourmentez pas deux êtres qui vous demandent leur bonheur, qui vous aimeront bien.

GERTRUDE.

Ah ! vous êtes le martyr ? et moi… moi je suis le bourreau ! Mais ne serais-je pas votre femme aujourd’hui, si je n’avais pas, il y a douze ans, préféré votre bonheur à mon amour ?

FERDINAND.

Eh bien ! faites aujourd’hui la même chose, en me laissant ma liberté.

GERTRUDE.

La liberté d’en aimer une autre. Il ne s’agissait pas de ça, il y a douze ans… Mais je vais en mourir.

FERDINAND.

On meurt d’amour dans les poésies, mais dans la vie ordinaire on se console.

GERTRUDE.

Ne mourez-vous pas, vous autres, pour votre honneur outragé, pour un mot, pour un geste ? Eh bien ! il y a des femmes qui meurent pour leur amour, quand cet amour est un trésor où elles ont tout placé, quand c’est toute leur vie, et je suis de ces femmes-là, moi ! Depuis que vous êtes sous ce toit, Ferdinand, j’ai craint une catastrophe à toute heure ! eh bien ! j’avais toujours sur moi le moyen de quitter la vie à l’instant, s’il nous arrivait malheur. Tenez, (elle montre un flacon) voilà comment j’ai vécu !

FERDINAND.

Ah ! voici les larmes !

GERTRUDE.

Je m’étais promis de les maîtriser, elles m’étouffent ! Mais aussi, vous me parlez avec cette froide politesse qui est votre dernière insulte, à vous autres, pour un amour que vous rebutez ! Vous ne me témoignez pas la moindre sympathie vous voudriez me voir morte, et vous seriez débarrassé… Mais, Ferdinand, tu ne me connais pas ! J’avouerai tout dans une lettre au général, que je ne veux plus tromper. Cela me lasse, moi, le mensonge. Je prendrai