Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1855, tome 19.djvu/340

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

MARGUERITE.

Et emporté donc !

FÉLIX.

Et emporté, c’est la même chose. Dès qu’il a un soupçon, il bûche. Et ça lui a fait tuer deux hommes, là, roide sur le coup… Nom d’un petit bonhomme ! avec un troupier de ce caractère-là, faut… quoi… l’étouffer de cajoleries… et madame l’étouffe… ce n’est pas plus fin que cela ! Et alors avec ses manières elle lui a mis, comme aux chevaux ombrageux, des œillères ; il ne peut voir ni à droite ni à gauche, et elle lui dit : « Mon ami, regarde devant toi ! » Voilà.

MARGUERITE.

Ah ! vous pensez comme moi qu’une femme de trente-deux ans n’aime un homme de soixante-dix ans qu’avec une idée… Elle a un plan.

RAMEL, à part.

Oh ! les domestiques ! des espions qu’on paye.

FÉLIX.

Quel plan ? elle ne sort pas d’ici, elle ne voit personne.

MARGUERITE.

Elle tondrait sur un œuf ! elle m’a retiré les clefs, à moi qui avais la confiance de défunt madame ; savez-vous pourquoi ?

FÉLIX.

Tiens ! parbleu, elle fait sa pelote.

MARGUERITE.

Oui depuis douze ans, avec les revenus de mademoiselle et les bénéfices de la fabrique. Voilà pourquoi elle retarde l’établissement de ma chère enfant tant qu’elle peut, car faut donner le bien en la mariant.

FÉLIX.

C’est la loi.

MARGUERITE.

Moi, je lui pardonnerais tout, si elle rendait mademoiselle heureuse ; mais je surprends ma pauvre Pauline à pleurer, je lui demande ce qu’elle a : — « Rien qu’a dit, rien, ma bonne Marguerite ! » (Félix sort.) Voyons, ai-je tout fait ? Oui, voilà la table de jeu… les bougies, les cartes… ah ! le canapé. (Elle aperçoit Ramel.) Dieu de Dieu ! un étranger !

RAMEL.

Ne vous effrayez pas, Marguerite.