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GODARD.

Ce n’est pas cela du tout, mon général. Vous m’intimidez déjà avec vos plaisanteries.

LE GÉNÉRAL.

Allez toujours !

GODARD.

Moi, je n’entends rien aux simagrées des femmes ! je ne sais pas plus quand leur non veut dire oui que quand le oui veut dire non et, lorsque j’aime, je veux être aimé…

LE GÉNÉRAL, à part.

Avec ces idées-là, il le sera.

GODARD.

Il y a beaucoup d’hommes qui me ressemblent, et que la petite guerre des façons et des manières ennuie au suprême degré.

LE GÉNÉRAL.

Mais c’est ce qu’il y a de plus délicieux, c’est la résistance ! On a le plaisir de vaincre.

GODARD.

Non, merci ! Quand j’ai faim, je ne coquette pas avec ma soupe ! J’aime les choses jugées, et fais peu de cas de la procédure, quoique Normand. Je vois dans le monde des gaillards qui s’insinuent auprès des femmes en leur disant ! — « Ah ! vous avez là, Madame, une jolie robe. — Vous avez un goût parfait. Il n’y a que vous pour savoir vous mettre ainsi. » Et qui de la partent pour aller, aller… Et ils arrivent ; ils sont prodigieux, parole d’honneur ! Moi, je ne vois pas comment, de ces paroles oiseuses, on parvient à… Non… Je pataugerais des éternités avant de dire ce que m’inspire la vue d’une jolie femme.

LE GÉNÉRAL.

Ah ! ce ne sont pas là les hommes de l’empire.

GODARD.

C’est à cause de cela que je me suis fait hardi ! Cette fausse hardiesse, accompagnée de quarante mille livres de rente, est acceptée sans protêt, et j’y gagne de pouvoir aller de l’avant. Voilà pourquoi vous m’avez pris pour un homme avantageux. Quand on n’a pas ça d’hypothèques sur de bons herbages de la vallée d’Auge, qu’on possède un joli château tout meublé, car ma femme n’aura que son trousseau à y apporter, elle trouvera même les cachemires et les dentelles de défunt ma mère. Quand on a tout